Le prince corsaire | Page 3

Paul Scarron
bastir sur le sable.?Ce Prince malheureux vit son Trosne envahy,?Il fut de ses sujets abandonné, trahy,?Et reduit à la fin de quitter une Terre,?Où tout sembloit d'accord à luy faire la guerre,?Il fonda sur les flots l'espoir de son salut,?N'ayant plus qu'un vaisseau de tant d'autres qu'il e?t, Sa galere en ces mers tombant dans nostre Armée,?Se vit en un moment des nostres enfermée,?Mais luy loing de ceder à l'ennemy plus fort,?De vos meilleurs soldats se fit craindre d'abord,?Et fit seul contre nous en sa seule galere,?Ce que le Dieu de Trace en sa place eust peu faire,?Repoussant plusieurs fois de son bord investy,?Les nombreux ennemis de son foible party.?Orosmane ravy de sa rare vaillance,?Fait cesser le combat; vers ce guerrier s'avance;?Luy presente à la fois, & la paix, & la main,?Et ne re?oit de luy que fierté, que dédain,?Il offence Orosmane; il l'attaque, il le presse,?De tout ce qui luy reste; & de force, & d'adresse;?Irrite son courroux par son sang repandu:?Mais foible par celuy qu'il a déja perdu,?Enfin il tombe aux pieds d'Orosmane invincible,?Et trouva son vainqueur à son malheur sensible,?Il s'appelloit Alcandre.
ELISE.
Helas! il est donc mort,?Alcandre? mon Alcandre.
SEBASTE.
Il a changé de sort.
ELISE.
Et le fier Orosmane est meurtrier d'Alcandre?
SEBASTE.
Il se croiroit heureux, s'il pouvoit vous le rendre.
ELISE.
Helas!
SEBASTE.
Alcandre donc ce Prince malheureux,?Expirant, conjura son vainqueur genereux,?Son vainqueur, qu'il voyoit pres de luy tout en larmes, Maudire; mais trop tard, ses trop heureuses Armes,?De vous offrir son bras, sa flotte, & son pouvoir,?Et d'appaiser par là son juste desespoir,?De voir ainsi finir son Amour, & sa vie,?Dans un temps où peut-estre il vous auroit servie,?Et c'est d'où sont venus les soins officieux,?D'un guerrier sans pareil qui vous est odieux;?Mais sur qui vous regnez; en qui revit Alcandre,?Qui voudroit comme luy pour vous tout entreprendre,?Et de qui la valeur ne veut point d'autre prix,?Que la gloire d'avoir pour vous tout entrepris,
ELISE.
Ha plustost qu'un Barbare ait part en mon estime,?Un Corsaire Insolent qui me propose un crime,?Plustost que d'attirer le reproche eternel,?D'armer en ma faveur un bras si criminel,?Que les plus grands malheurs que l'on craint sur la Terre, Me fassent sans relasche une cruelle guerre,?Que ces mesmes Tyrans, dont trop officieux?Il m'offre d'abaisser l'orgueil ambitieux,?Exercent contre moy toute la violence,?Qu'inspire à des sujets une aveugle insolence:?Hé que peut-il me rendre apres m'avoir osté,?Le seul bien qui manquoit à ma félicité?
SEBASTE.
Orosmane s?ait bien que vous estes gesnée,?Dans la libre action du choix d'un himenée,?Qu'il vous fait perdre Alcandre un amant genereux,?De qui le seul defaut fut d'estre malheureux;?Que tout son sang versé, toute sa flotte offerte,?Peut reparer à peine une si grande perte.
ELISE.
Et s?ait-il que mon coeur ne peut trop détester,?Celuy qui m'oste Alcandre, & s'en ose vanter;?Veut-il du sang encore apres celuy d'Alcandre,?Et m'offre-t'il le fer qui vient de le repandre?
SEBASTE.
Orosmane....
ELISE.
Ostez vous estranger odieux,?Ce qui vient d'Orosmane est horrible à mes yeux,?Ha ne les ouvrons plus que pour verser des larmes,?Renon?ons pour jamais aux objets pleins de charmes,?Donnons nous toute entiere à nos tristes ennuis,?Et faisons de nos jours des éternelles nuicts.?C'estoit donc de nos feux la trompeuse esperance,?C'est donc ce que le Ciel gardoit à sa constance,?Dans un temps où son bras secondant sa valeur,?Estoit prest d'establir nostre commun bon-heur;?De luy rendre un Royaume usurpé par mon Pere,?Et de me conserver la Cypre hereditaire??Ne viens donc plus espoir, de tes trompeurs appas,?Adoucir des tourmens que tu ne gueris pas,?Puisque je pers Alcandre, & que je le veux suivre,?Dequoy peux tu servir à qui ne veut plus vivre??Oüy bientost dans le Ciel où tu vis loin de moy,?Je t'y joindray bien-tost pour n'estre plus qu'à toy,?Belle ame qui quittas, & fis tout pour Elise,?Et seule eus le pouvoir d'asservir sa franchise.
SCENE V.
ELISE, ALCIONNE.
ELISE.
O ma soeur! vous voyez mes yeux moüillez de pleurs,?Ils ne sont point causez par nos communs malheurs.?J'ay pleuré comme vous une perte commune;?Mais le Ciel ennemy me cause une infortune,?A moy seule funeste, à moy seule à pleurer,?Et que tout son pouvoir ne s?auroit reparer.
ALCIONNE.
Le sujet de vos pleurs ne se peut-il apprendre;?Et le temps, & la part qu'une soeur y peut prendre,?Une soeur qui voudroit tous vos maux partager,?Ne pourront-ils du moins vostre esprit soulager;
ELISE.
Le temps, & la raison quand on pert ce qu'on aime,?Servent de peu de chose en ce malheur extréme,?Et qui peut esperer de s'en voir soulagé,?A merité le mal dont il est affligé,
ALCIONNE.
He quoy ma chere soeur, avez vous quelque affaire,?Ou quelque déplaisir que vous me deviez taire;
ELISE.
Ce jeune Cavalier, ce vaillant estranger,?Qui secouant mon Pere en un mortel danger,?Dans ce fameux combat où d'un Prince rebelle,?Rhodes contre Pisandre entreprit la querelle,?Alcandre, Ha! ce beau nom est tout ce qui de luy,?Peut-estre resteroit sur la terre aujourd'huy,?S'il [ne] vivoit encore en l'amoureuse idée,?Que pour ce cher amant ma memoire a gardée,
ALCIONNE.
Et quoy le brave Alcandre?...
ELISE.
Est le Prince charmant,?Que mesme apres sa mort j'ayme
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