Le prince corsaire | Page 2

Paul Scarron
d'aujourd'huy seulement,?J'en garde une copie, & je puis vous la lire,?Si vous le souhaittez.
SEBASTE.
Je n'osois vous le dire.
CLARICE.
J'ordonne que ma fille Elise,?Regne en Cypre apres mon trespas,?Et je veux aussi qu'elle élise,?Pour Espoux le Prince Amintas.?Si méprisant ce que j'ordonne?Sur un Prince estranger elle jette les yeux,?Je veux que sa soeur Alcione,?Espousant Amintas succede à ma Couronne;?C'est mon dernier vouloir apres celuy des Dieux.
Elise ne s'est point sur son choix declarée,?Encore qu'elle soit de ce Prince adorée,?Et ce fidelle Amant de ce choix incertain,?Attendant son mauvais ou son heureux Destin,?Ne s?ait à qui des deux d'Elise ou d'Alcione,?Il devra le bonheur d'une double Couronne;?Cypre, & la Cilicie, où nous donnons des Loix,?Où Lisandre a vaincu le dernier de ses Roys?Et s'il eust eu du Ciel une plus longue vie,?Il eust poussé plus loin sa conqueste en Asie.
SEBASTE.
Des peuples asservis le zele est to?jours feint,?Et naturellement l'on hait ce que l'on craint,?Comme Cilicien je s?ay qu'en cette terre?Pisandre eust eu bien-tost à so?tenir la guerre.
CLARICE.
Son frere Nicanor politique, & prudent:?Ferme dans ses desseins; ambitieux; ardent,?Chef d'un party puissant; absolu dans les villes,?Peut jetter cét Estat en des guerres civiles,?Si méprisant son fils, & les ordres du Roy,?Elise disposoit du Royaume, & de soy,?Elle est incessamment de Nicanor pressée,?De découvrir enfin sa secrette pensée,?Et pour la découvrir elle a choisi ce jour,?En peu de mots, voila l'Estat de nostre Cour.
SEBASTE.
Cét himen peut avoir sa raison politique;?Elise peut aussi le trouver tirannique,?Si cét objet forcé de son affection,?N'a jamais attiré que son aversion,?Ou si quelque autre amant regne en son coeur fidelle?Amintas pourroit-il estre heureux avec elle;?Et quand elle tiendroit son sceptre d'Amintas,?D'un époux qui déplaist les dons ne plaisent pas,?Contrainte en son amour, & contrainte en sa haine,?Amante malheureuse, & malheureuse Reine,?D'un choix violenté le souvenir cruel,?Luy feroit de son Trosne un supplice eternel.?Le sceptre, & les tresors qu'apporte un himenée?N'en fait point icy bas l'heureuse Destinée,?On n'est pas moins captif pour l'estre avec esclat,?Et les raisons d'amour ne le sont point d'Estat.
CLARISE.
Amintas est bien-fait, genereux; plein de gloire,?Son bras s'est signalé par plus d'une victoire,?Il est aymé du peuple, adoré de la Cour,?De moindres qualités donneroient de l'amour.?Mais la Princesse vient, retirez vous; possible?Vas-je la disposer à vous estre visible.
SCENE II.
ELIZE, CLARICE.
ELIZE.
Quel est cét estranger?
CLARICE.
C'est un Cilicien,?Pour qui je vous demande un secret entretien.
ELIZE.
Et que peut me vouloir cét étranger, Clarice?
CLARICE.
Vous rendre à ce qu'il dit un important service.
ELIZE.
Qu'il vienne; mais s'il veut quelque grace de moy,?Je n'ay plus de pouvoir depuis la mort du Roy.?Faittes luy donc s?avoir qu'Amintas, & son Pere?Sont aujourd'huy les Dieux que la Cypre revere.
SCENE III.
ELISE.
Princesse malheureuse, & qu'un indigne sort,?Contraint des sa jeunesse à souhaiter sa mort:?Le Ciel ne te fit don d'une illustre naissance,?Que pour faire aux mortels redouter sa puissance,?Il te ravit un Throsne à ta naissance acquis:?De tes propres sujets il fait tes ennemis,?Et du choix d'un Espoux t'ostant le privilege,?Il te rend vers ton Pere ingrate, & sacrilege;?Mais des ordres d'un Pere on se peut dispenser,?Quand une foy promise, est honteuse à fausser.?On me peut faire choir d'un Trosne hereditaire,?Mais me rendre inconstante, on ne le s?auroit faire:?Je t'aymeray tousiours, soit que loin de ces lieux,?Ton ame dans le Ciel ait place entre les Dieux,?Soit qu'entre les mortels, où tu vis plein de gloire?Tu conserves encore Elise en ta memoire;?Soit qu'un ingrat oubly la chasse de ton coeur,?Je t'aymeray tousiours d'une constante ardeur,?Prince qui meritois une autre destinée,?Prince le seul espoir d'Elise infortunée.
SCENE IV.
CLARICE, ELISE, SEBASTE.
CLARICE.
Voicy cet étranger.
ELISE.
Que voulez vous de moy?
SEBASTE.
Orosmane des Mers le redoutable Roy,?Qui sur mille vaisseaux portant par tout la guerre,?Fait respecter son nom aux Maistres de la terre,?Vous offre sa valeur contre vos ennemis,?Et vingt mille soldats à vos ordres so?mis,?Quand vous l'ordonnerez, d'une puissante Armée,?Vous verrez à l'instant cette ville enfermée;?Vous verrez les Tyrans qui vous donnent la loy,?La recevoir de vous, & trembler sous mon Roy
ELISE.
On a mal informé vostre vaillant Corsaire,?Et son secours icy ne m'est point necessaire;?Mais d'où peuvent venir les soins officieux,?D'un homme si funeste à la paix de ces lieux,?Plus craint de nos vaisseaux que les plus grands orages, Qui tient nos ports bloquez, desole nos rivages,?Et qui laissant en paix le reste des humains,?Nous choisit pour l'objet de ses faits inhumains;
SEBASTE.
Orosmane n'est pas tout ce qu'il paroist estre,?Et possible le temps le fera mieux connoistre,?Mais troublast-t'il la Cypre encor plus qu'il ne fait,?Il vous distingue fort de ces peuples qu'il hait,?Il n'est soin ny devoir qu'il ne vueille vous rendre,?Et de fortes raisons (que vous allez apprendre,)?Dans vos seuls interests l'engagent tellement,?Qu'il fait ses ennemis des vostres seulement:?Un Prince incomparable, & dont l'illustre vie,?A vos yeux ses vainqueurs fut tousiours asservie,?Et qui jusqu'au trepas constant en son Amour,?Ne regretta que vous quand il perdit le jour,?Eut long temps la fortune à ses voeux favorable;?Mais se fier en elle est
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