de notre science sera d'ajouter des faits l'un à l'autre, ou de lier un fait à un fait.
III
Cette petite phrase est l'abrégé de tout le système; pénétrez-vous en. Elle explique toutes les théories de Mill. C'est à ce point de vue qu'il a tout défini. C'est d'après ce point de vue qu'il a partout innové. Il n'a reconnu dans toutes les formes et à tous les degrés de la connaissance que la connaissance des faits et de leurs rapports.
Or, vous savez que la logique a deux pierres angulaires, la théorie de la définition et la théorie de la preuve. Depuis Aristote, les logiciens ont passé leur temps à les polir. On n'osait y toucher que respectueusement. Elles étaient saintes. Tout au plus, de temps en temps, quelque novateur osait les retourner avec précaution pour les mettre en un meilleur jour. Mill les taille, les tranche, les renverse et les remplace toutes les deux, de la même manière et du même effort.
IV
Je sais bien qu'aujourd'hui on se moque des gens qui raisonnent sur la définition; j'espère pour vous que vous ne commettez pas cette sottise. Il n'y a pas de théorie plus féconde en conséquences universelles et capitales; elle est la racine par laquelle tout l'arbre de la science humaine végète et se soutient. Car définir les choses, c'est marquer leur nature. Apporter une idée neuve de la définition, c'est apporter une idée neuve de la nature des choses; c'est dire ce que sont les êtres, de quoi ils se composent, en quels éléments ils se réduisent. Voilà le mérite de ces spéculations si sèches; le philosophe a l'air d'aligner des formules; la vérité est qu'il y renferme l'univers.
Prenez, disent les logiciens, un animal, une plante, un sentiment, une figure de géométrie, un objet ou un groupe d'objets quelconques. Sans doute l'objet a ses propriétés, mais il a aussi son essence. Il se manifeste au dehors par une multitude indéfinie d'effets et de qualités, mais toutes ces manières d'être sont les suites ou les oeuvres de sa nature intime. Il y a en lui un certain fonds caché, seul primitif, seul important, sans lequel il ne peut ni exister ni être con?u, et qui constitue son être et sa notion[6]. Ils appellent définitions les propositions qui la désignent, et décident que le meilleur de notre science consiste en ces sortes de propositions.
Au contraire, dit Mill, ces sortes de propositions n'apprennent rien; elles enseignent le sens d'un mot, et sont purement verbales[7]. Qu'est-ce que j'apprends quand vous me dites que l'homme est un animal raisonnable, ou que le triangle est un espace compris entre trois lignes? La première partie de votre phrase m'exprime par un mot abréviatif ce que la seconde partie m'exprime par une locution développée. Vous me dites deux fois la même chose; vous mettez le même fait sous deux termes différents: vous n'ajoutez pas un fait à un fait, vous allez du même au même. Votre proposition n'est pas instructive. Vous pourriez en amasser un million de semblables, mon esprit resterait aussi vide; j'aurais lu un dictionnaire, je n'aurais pas acquis une connaissance. Au lieu de dire que les propositions qui concernent l'essence sont importantes, et que les propositions qui concernent les qualités sont accessoires, il faut dire que les propositions qui concernent l'essence sont accessoires, et que les propositions qui concernent les qualités sont importantes. Je n'apprends rien quand on me dit qu'un cercle est la figure formée par la révolution d'une droite autour d'un de ses points pris comme centre; j'apprends quelque chose lorsqu'on me dit que les cordes qui sous-tendent dans le cercle des arcs égaux sont égales, ou que trois points suffisent pour déterminer la circonférence. Ce qu'on appelle la nature d'un être est le réseau des faits qui constituent cet être. La nature d'un mammifère carnassier consiste en ce que la propriété d'allaiter, avec toutes les particularités de structure qui l'amènent, se trouve jointe à la possession des dents à ciseaux ainsi qu'aux instincts chasseurs et aux facultés correspondantes. Voilà les éléments qui composent sa nature. Ce sont des faits liés l'un à l'autre comme une maille à une maille. Nous en apercevons quelques-unes, et nous savons qu'au delà de notre science présente et de notre expérience future, le filet étend à l'infini ses fils entrecroisés et multipliés. L'essence ou nature d'un être est la somme indéfinie de ses propriétés. ?Nulle définition, dit Mill, n'exprime cette nature tout entière, et toute proposition exprime quelque partie de cette nature[8] .? Quittez donc la vaine espérance de démêler sous les propriétés quelque étre primitif et mystérieux, source et abrégé du reste; laissez les entités à Duns Scott; ne croyez pas qu'en sondant vos idées comme les Allemands, en classant les objets d'après le genre et l'espèce comme les scolastiques, en renouvelant la science nominale du moyen
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