Elle est dure et carrée: cela signifie encore qu'étant poussée, puis parcourue par la main, elle y suscitera deux espèces distinctes de sensations musculaires. Et ainsi de suite. Quand j'examine de près ce que je sais d'elle, je trouve que je ne sais rien d'autre que les impressions qu'elle fait sur moi. Notre idée d'un corps ne comprend pas autre chose: nous ne connaissons de lui que les sensations qu'il excite en nous; nous le déterminons par l'espèce, le nombre et l'ordre de ces sensations; nous ne savons rien de sa nature intime, ou s'il en a une; nous affirmons simplement qu'il est la cause inconnue de ces sensations. Quand nous disons qu'en l'absence de nos sensations il a duré, nous voulons dire simplement que si, pendant ce temps-là, nous nous étions trouvés à sa portée, nous aurions eu les sensations que nous n'avons pas eues. Nous ne le définissons jamais que par nos impressions présentes ou passées, futures ou possibles, complexes ou simples. Cela est si vrai, que des philosophes comme Berkeley ont soutenu avec vraisemblance que la matière est un être imaginaire, et que tout l'univers sensible se réduit à un ordre de sensations. A tout le moins, il est tel pour notre connaissance, et les jugements qui composent nos sciences ne portent que sur les impressions par lesquelles il se manifeste à nous.
Il en est de même pour l'esprit. Nous pouvons bien admettre qu'il y a en nous une ame, un moi, un sujet ou ?récipient? des sensations et de nos autres fa?ons d'être, distinct de ces sensations et de nos autres fa?ons d'être; mais nous n'en connaissons rien. ?Tout ce que nous apercevons en nous-mêmes, dit Mill,[2] c'est une certaine trame d états intérieurs, une série d'impressions[3], sensations, pensées, émotions et volontés.? Nous n'avons pas plus d'idée de l'esprit que de la matière; nous ne pouvons rien dire de plus sur lui que sur la matière. Ainsi les substances, quelles qu'elles soient, corps ou esprit, en nous ou hors de nous, ne sont jamais pour nous que des tissus plus ou moins compliqués, plus ou moins réguliers, dont nos impressions ou manières d'être forment tous les fils.
Et cela est encore bien plus visible pour les attributs que pour les substances. Quand je dis que la neige est blanche, je veux dire par là que, lorsque la neige est présente à ma vue, j'ai la sensation de blancheur. Quand je dis que le feu est chaud, je veux dire par là que, lorsque le feu est à portée de mon corps, j'ai la sensation de chaleur. ?Quand nous disons d'un esprit qu'il est dévot ou superstitieux, ou méditatif, ou gai, nous voulons dire simplement que les idées, les émotions, les volontés désignées par ces mots reviennent fréquemment dans la série de ses manières d'être[4].? Quand nous disons que les corps sont pesants, divisibles, mobiles, nous voulons dire simplement qu'abandonnés à eux-mêmes, ils tomberont; que, tranchés, ils se sépareront; que, poussés, ils se mettront en mouvement; c'est-à-dire qu'en telle et telle circonstance ils produiront telle ou telle sensation sur nos muscles ou sur notre vue. Toujours un attribut désigne une de nos manières d'être ou une série de nos manières d'être. En vain nous les déguisons en les groupant, en les cachant sous des mots abstraits, en les divisant, en les transformant de telle sorte que souvent nous avons peine à les reconna?tre: toutes les fois que nous regardons au fond de nos mots et de nos idées, nous les y trouvons, et nous n'y trouvons pas autre chose. ?Décomposez, dit Mill, une proposition abstraite; par exemple: Une personne généreuse est digne d'honneur[5].--Le mot généreux désigne certains états habituels d'esprit et certaines particularités habituelles de conduite, c'est-à-dire des manières d'être intérieures et des faits extérieurs sensibles. Le mot honneur exprime un sentiment d'approbation et d'admiration suivi à l'occasion par les actes extérieurs correspondants. Le mot digne indique que nous approuvons l'action d'honorer. Toutes ces choses sont des phénomènes ou états d'esprit suivis ou accompagnés de faits sensibles.? Ainsi nous avons beau nous tourner de tous c?tés, nous restons dans le même cercle. Que l'objet soit un attribut ou une substance, qu'il soit complexe ou abstrait, composé ou simple, son étoffe pour nous est la même: nous n'y mettons que nos manières d'être. Notre esprit est dans la nature comme un thermomètre est dans une chaudière: nous définissons les propriétés de la nature par les impressions de notre esprit, comme nous désignons les états de la chaudière par les variations du thermomètre. Nous ne savons de l'un et de l'autre que des états et des changements; nous ne composons l'un et l'autre que de données isolées et transitoires: une chose n'est pour nous qu'un amas de phénomènes. Ce sont là les seuls éléments de notre science: partant, tout l'effort
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