Le positivisme anglais | Page 2

Hippolyte A. Taine
pr��jug��s, une intol��rance et des courtisans. Voici tout pr��s de nous le pauvre M. Max Millier qui, pour acclimater ici les ��tudes sanscrites, a ��t�� forc�� de d��couvrir dans les V��das l'adoration d'un dieu moral, c'est-��-dire la religion de Paley et d'Addison. Il y a quinze jours, �� Londres, je lisais une proclamation de la reine qui d��fend aux gens de jouer aux cartes, m��me chez eux, le dimanche. Il para?t que, si j'��tais vol��, je ne pourrais appeler mon voleur en justice sans pr��ter le serment th��ologique pr��alable; sinon, on a vu le juge renvoyer le plaignant, lui refuser justice et l'injurier par-dessus le march��. Chaque ann��e, quand nous lisons dans vos journaux le discours de la couronne, nous y trouvons la mention oblig��e de la divine Providence; cette mention arrive m��caniquement, comme l'apostrophe aux dieux immortels �� la quatri��me page d'un discours de rh��torique, et vous savez qu'un jour la p��riode pieuse ayant ��t�� omise, on fit tout expr��s une seconde communication au parlement pour l'ins��rer. Toutes ces tracasseries et toutes ces p��danteries indiquent �� mon gr�� une monarchie c��leste; naturellement celle-ci ressemble �� toutes les autres: je veux dire qu'elle s'appuie plus volontiers sur la tradition et sur l'habitude que sur l'examen et la raison. Jamais monarchie n'invita les gens �� v��rifier ses titres. Comme d'ailleurs la v?tre est utile, voulue et morale, elle ne vous r��volte pas; vous lui restez soumis sans difficult��, vous lui ��tes attach��s de coeur; vous craindriez, en la touchant, d'��branler la constitution et la morale. Vous la laissez au plus haut des cieux parmi les hommages publics; vous vous repliez, vous vous r��duisez aux questions de fait, aux dissections menues, aux op��rations de laboratoire. Vous allez cueillir des plantes et ramasser des coquilles. La science se trouve d��capit��e; mais tout est pour le mieux, car la vie pratique s'am��liore, et le dogme reste intact.

III
--Vous ��tes bien Fran?ais, me dit-il; vous enjambez les faits, et vous voil�� de prime saut install�� dans une th��orie. Sachez qu'il y a chez nous des penseurs, et pas bien loin d'ici, �� Christ-Church par exemple. L'un d'eux, professeur de grec, a parl�� si profond��ment de l'inspiration, de la cr��ation et des causes finales, qu'on l'a disgraci��. Regardez ce petit recueil tout nouveau, Essays and Reviews; vos libert��s philosophiques du dernier si��cle, les conclusions r��centes de la g��ologie et de la cosmogonie, les hardiesses de l'ex��g��se allemande y sont en raccourci. Plusieurs choses y manquent, entre autres les polissonneries de Voltaire, le jargon n��buleux d'outre-Rhin et la grossi��ret�� prosa?que de M. Comte; �� mon gr��, la perle est petite. Attendez vingt ans, vous trouverez �� Londres les id��es de Paris et de Berlin.--Mais ce seront les id��es de Paris et de Berlin. Qu'avez-vous d'original?--Stuart Mill.--Qu'est-ce que Stuart Mill?--Un politique. Son petit ��crit On liberty; est aussi bon que le Contrat social de votre Rousseau est mauvais.--C'est beaucoup dire.--Non, car Mill conclut aussi fortement �� l'ind��pendance de l'individu que Rousseau au despotisme de l'��tat.--Soit, mais il n'y a pas l�� de quoi faire un philosophe. Qu'est-ce encore que votre Stuart Mill?--Un ��conomiste qui va au del�� de sa science et qui subordonne la production �� l'homme, au lieu de subordonner l'homme �� la production.--Soit, mais il n'y a pas l�� non plus de quoi faire un philosophe. Y a-t-il encore autre chose dans votre Stuart Mill?--Un logicien.--Bien; mais de quelle ��cole?--De la sienne. Je vous ai dit qu'il est original.--Est-il h��g��lien?--Oh! pas du tout; il aime trop les faits et les preuves.--Suit-il Port-Royal?--Encore moins; lisait trop bien les sciences modernes.--Imite--t--il Condillac? --Non certes: Condillac n'enseigne qu'�� bien ��crire.--Alors quels sont ses amis?--Locke et M. Comte au premier rang, ensuite Hume et Newton.--Est-ce un syst��matique, un r��formateur sp��culatif?--Il a trop d'esprit pour cela: il ne fait qu'ordonner les meilleures th��ories et expliquer les meilleures pratiques. Il ne se pose pas majestueusement en restaurateur de la science; il ne d��clare pas, comme vos Allemands, que son livre va ouvrir une nouvelle ��re au genre humain. Il marche pas �� pas, un peu lentement, et souvent terre �� terre, �� travers une multitude d'exemples. Il excelle �� pr��ciser une id��e, �� d��m��ler un principe, �� le retrouver sous une foule de cas diff��rents, �� r��futer, �� distinguer, �� argumenter. Il a la finesse, la patience, la m��thode et la sagacit�� d'un l��giste.--Tr��s-bien, voil�� que vous me donnez raison d'avance: l��giste, parent de Locke, de Newton, de Comte et de Hume, nous n'avons l�� que de la philosophie anglaise; mais il n'importe. A-t-il atteint une grande conception d'ensemble?--Oui.--A-t-il une id��e personnelle et compl��te de la nature et de l'esprit?--Oui.--A-t-il rassembl�� les op��rations et les d��couvertes de l'intelligence sous un principe unique qui leur donne �� toutes un tour nouveau?--Oui; seulement il faut d��m��ler ce principe.--C'est votre affaire, et j'esp��re bien que vous
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