Le positivisme anglais
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Title: Le positivisme anglais Etude sur Stuart Mill
Author: Hypolite Taine
Release Date: February 9, 2006 [EBook #17734]
Language: French
Character set encoding: ISO-8859-1
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POSITIVISME ANGLAIS ***
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LE POSITIVISME ANGLAIS
ÉTUDE SUR STUART MILL
par
HIPPOLYTE TAINE
1864
* * * * *
PRÉFACE
Lorsque cette étude parut pour la première fois, M. Stuart Mill me fit
l'honneur de m'écrire «qu'on ne pouvait donner en peu de pages une
idée plus exacte et plus complète du contenu de son livre, comme corps
de doctrine philosophique. Seulement, ajoutait-il, je crois que vous
vous trompez en regardant ce point de vue comme particulièrement
anglais. Il le fut dans la première moitié du XVIIIe siècle, à partir de
Locke, et jusqu'à la réaction contre Hume. Cette réaction, commencée
en Écosse, a revêtu depuis longtemps la forme germanique, et a fini par
tout envahir. Quand j'ai écrit mon livre, j'étais à peu près seul de mon
opinion, et, bien que ma manière de voir ait trouvé un degré de
sympathie auquel je ne m'attendais nullement, on compte encore en
Angleterre vingt philosophes à priori et spiritualistes contre chaque
partisan de la doctrine de l'Expérience.»
Cette remarque est fort juste; moi-même j'avais pu la faire, ayant été
élevé dans la philosophie écossaise et parmi les livres de Reid. Ma
seule réponse est qu'il y a des philosophes qui ne comptent pas, et que
tous ceux-là, Anglais ou non, spiritualistes ou non, on peut les négliger
sans grand dommage. Tous les demi-siècles, et plus ordinairement tous
les siècles ou tous les deux siècles, paraît un homme qui pense: Bacon
et Hume en Angleterre, Descartes et Condillac en France, Kant et
Hegel en Allemagne; le reste du temps la scène reste vide, et des
hommes ordinaires viennent la remplir, offrant au public ce que le
public désire, sensualistes ou idéalistes, selon la direction du temps,
suffisamment instruits et habiles pour tenir le premier rôle, capables de
rajeunir les vieux airs, exercés dans le répertoire, mais dépourvus de
l'invention véritable, simples exécutants qui succèdent aux
compositeurs. En ce moment, la scène est vide en Europe. Les
Allemands transcrivent ou transposent le vieux matérialisme français;
les Français, par habitude et dans une demi-somnolence, écoutent avec
un air un peu ennuyé et distrait les morceaux de bravoure, les belles
phrases éloquentes que l'enseignement public leur répète depuis trente
ans. Dans ce grand silence, et parmi ces comparses monotones, voici un
maître qui s'avance et qui parle. On n'a rien vu de semblable depuis
Hegel.
Janvier 1804.
ÉTUDE
SUR STUART MILL
I
J'étais à Oxford l'an dernier, pendant les séances de la _British
Association for the advancement of learning_, et j'y avais trouvé, parmi
les rares étudiants qui restaient encore, un jeune Anglais, homme
d'esprit, avec qui j'avais mon franc-parler. Il me conduisait le soir au
nouveau muséum, tout peuplé de spécimens: on y professe de petits
cours, on met en jeu des instruments nouveaux: les dames y assistent et
s'intéressent aux expériences; le dernier jour, pleines d'enthousiasme,
elles chantèrent God save the Queen. J'admirais ce zèle, cette solidité
d'esprit, cette organisation de la science, ces souscriptions volontaires,
cette aptitude à l'association et au travail, cette grande machine poussée
par tant de bras, et si bien construite pour accumuler, contrôler et
classer les faits. Et pourtant dans cette abondance il y avait un vide:
quand je lisais les comptes rendus, je croyais assister à un congrès de
chefs d'usines; tous ces savants vérifiaient des détails et échangeaient
des recettes. Il me semblait entendre des contremaîtres occupés à se
communiquer leurs procédés pour le tannage du cuir ou la teinture du
coton: les idées générales étaient absentes. Je m'en plaignais à mon ami,
et le soir, sous sa lampe, dans ce grand silence qui enveloppe là-bas une
ville universitaire, nous en cherchions tous deux les raisons.
II
Un jour, je lui dis:--La philosophie vous manque, j'entends celle que les
Allemands appellent métaphysique. Vous avez des savants, vous n'avez
pas de penseurs. Votre Dieu vous gène; il est la cause suprême, et vous
n'osez raisonner sur les causes par respect pour lui. Il est le personnage
le plus important de l'Angleterre, je le sais, et je vois bien qu'il le mérite;
car il fait partie de la constitution, il est le gardien de la morale, il juge
en dernier ressort dans toutes les questions, il remplace avec avantage
les préfets et
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