Le petit chose | Page 8

Alphonse Daudet
livres �� la ceinture, ma casquette entre les dents. Toutefois, comme j'avais une peur effroyable de mon p��re, je repris haleine une minute dans l'escalier, juste le temps d'inventer une histoire pour expliquer mon retard. Sur quoi, je sonnai bravement.
Ce fut M. Eyssette lui-m��me qui vint m'ouvrir. ?Comme tu viens tard!? me dit-il. Je commen?ais �� d��biter mon mensonge en tremblant; mais le cher homme ne me laissa pas achever et, m'attirant sur sa poitrine, il m'embrassa longuement et silencieusement.
Moi qui m'attendais pour le moins �� une verte semonce, cet accueil me surprit. Ma premi��re id��e fut que nous avions le cur�� de Saint-Nizier �� d?ner; je savais par exp��rience qu'on ne nous grondait jamais ces jours-l��. Mais en entrant dans la salle �� manger, je vis tout de suite que je m'��tais tromp��. Il n'y avait que deux couverts sur la table, celui de mon p��re et le mien.
?Et ma m��re? Et Jacques?? demandai-je, ��tonn��.
M. Eyssette me r��pondit d'une voix douce qui ne lui ��tait pas habituelle:
?Ta m��re et Jacques sont partis, Daniel; ton fr��re l'abb�� est bien malade.?
Puis, voyant que j'��tais devenu tout pale, il ajouta presque gaiement pour me rassurer:
?Quand je dis bien malade, c'est une fa?on de parler: on nous a ��crit que l'abb�� ��tait au lit; tu connais ta m��re, elle a voulu partir, et je lui ai donn�� Jacques pour l'accompagner. En somme, ce ne sera rien!... Et maintenant mets-toi l�� et mangeons; je meurs de faim.?
Je m'attablai sans rien dire, mais j'avais le coeur serr�� et toutes les peines du monde �� retenir mes larmes, en pensant que mon grand fr��re l'abb�� ��tait bien malade. Nous d?names tristement en face l'un de l'autre, sans parler. M. Eyssette mangeait vite, buvait �� grands coups, puis s'arr��tait subitement et songeait.... Pour moi, immobile au bout de la table et comme frapp�� de stupeur, je me rappelais les belles histoires que l'abb�� me contait lorsqu'il venait �� la fabrique. Je le voyais retroussant bravement sa soutane pour franchir les bassins. Je me souvenais aussi du jour de sa premi��re messe, o�� toute la famille assistait, comme il ��tait beau lorsqu'il se tournait vers nous, les bras ouverts, disant Dominus vobiscum d'une voix si douce que Mme Eyssette en pleurait de joie!... Maintenant je me le figurais l��-bas, couch��, malade (oh! bien malade; quelque chose me le disait), et ce qui redoublait mon chagrin de le savoir ainsi, c'est une voix que j'entendais me crier au fond du coeur: ?Dieu te punit, c'est ta faute! il fallait rentrer tout droit! Il fallait ne pas mentir!? Et plein de cette effroyable pens��e que Dieu, pour le punir, allait faire mourir son fr��re, le petit Chose se d��sesp��rait en lui-m��me, disant: ?Jamais, non! jamais, je ne jouerai plus aux barres en sortant du coll��ge.?
Le repas termin��, on alluma la lampe, et la veill��e commen?a. Sur la nappe, au milieu des d��bris du dessert, M. Eyssette avait pos�� ses gros livres de commerce et faisait ses comptes �� haute voix. Finet, le chat des babarottes, miaulait tristement en r?dant autour de la table...; moi, j'avais ouvert la fen��tre et je m'y ��tais accoud��....
Il faisait nuit, l'air ��tait lourd.... On entendait les gens d'en bas rire et causer devant leurs portes, et les tambours du fort Loyasse battre dans le lointain.... J'��tais l�� depuis quelques instants, pensant �� des choses tristes et regardant vaguement dans la nuit, quand un violent coup de sonnette m'arracha de ma crois��e brusquement. Je regardai mon p��re avec effroi, et je crus voir passer sur son visage le frisson d'angoisse et de terreur qui venait de m'envahir. Ce coup de sonnette lui avait fait peur, �� lui aussi.
?On sonne! me dit-il presque �� voix basse.
--Restez, p��re! j'y vais.? Et je m'��lan?ai vers la porte.
Un homme ��tait debout sur le seuil. Je l'entrevis dans l'ombre, me tendant quelque chose que j'h��sitais �� prendre.
?C'est une d��p��che, dit-il.
--Une d��p��che, grand Dieu! pour quoi faire??
Je la pris en frissonnant, et d��j�� je repoussais la porte; mais l'homme la retint avec son pied et me dit froidement:
?Il faut signer.?
Il fallait signer! Je ne savais pas: c'��tait la premi��re d��p��che que je recevais.
?Qui est l��, Daniel?? me cria M. Eyssette; sa voix tremblait.
Je r��pondis:
?Rien! c'est un pauvre....? Et, faisant signe �� l'homme de m'attendre, je courus �� ma chambre, je trempai ma plume dans l'encre, �� tatons, puis je revins.
L'homme dit:
?Signez l��.?
Le petit Chose signa d'une main tremblante, �� la lueur des lampes de l'escalier; ensuite il ferma la porte et rentra, tenant la d��p��che cach��e sous sa blouse.
Oh! oui, je te tenais cach��e sous ma blouse, d��p��che de malheur! Je ne voulais pas que M. Eyssette te v?t; car d'avance je savais que tu venais nous annoncer quelque chose de terrible, et lorsque je t'ouvris, tu ne m'appris rien de nouveau,
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