Le petit chose | Page 7

Alphonse Daudet
que les bas blancs de M. Caduffe, notre suisse, et puis si fr��le! Une fois, �� la messe, en changeant les ��vangiles de place, le gros livre ��tait si lourd qu'il m'entra?na. Je tombai de tout mon long sur les marches de l'autel. Le pupitre fut bris��, le service interrompu. C'��tait un jour de Pentec?te. Quel scandale!... A part ces l��gers inconv��nients de ma petite taille, j'��tais tr��s content de mon sort, et souvent le soir, en nous couchant, Jacques et moi, nous nous disions: ?En somme, c'est tr��s amusant la man��canterie.? Par malheur, nous n'y restames pas longtemps. Un ami de la famille, recteur d'universit�� dans le Midi, ��crivit un jour �� mon p��re que s'il voulait une bourse d'externe au coll��ge de Lyon pour un de ses fils, on pourrait lui en avoir une.
?Ce sera pour Daniel, dit M. Eyssette.
--Et Jacques? dit ma m��re.
--Oh! Jacques! je le garde avec moi; il me sera tr��s utile. D'ailleurs, je m'aper?ois qu'il a du go?t pour le commerce. Nous en ferons un n��gociant.?
De bonne foi, je ne sais comment, M. Eyssette avait pu s'apercevoir que Jacques avait du go?t pour le commerce. En ce temps-l��, le pauvre gar?on n'avait du go?t que pour les larmes, et si on l'avait consult��.... Mais on ne le consulta pas, ni moi non plus.
Ce qui me frappa d'abord, �� mon arriv��e au coll��ge, c'est que j'��tais le seul avec une blouse. A Lyon, les fils de riches ne portent pas de blouses; il n'y a que les enfants de la rue, les gones comme on dit. Moi, j'en avais une, une petite blouse, j'avais l'air d'un gone.... Quand j'entrai dans la classe; les ��l��ves rican��rent. On disait: ?Tiens! il a une blouse!? Le professeur fit la grimace et tout de suite me prit en aversion. Depuis lors, quand il me parla, ce fut toujours du bout des l��vres, d'un air m��prisant. Jamais il ne m'appela par mon nom; il disait toujours: ?H��! vous, l��-bas, le petit Chose!? Je lui avais dit pourtant plus de vingt fois que je m'appelais Daniel Ey-sset-te.... A la fin, mes camarades me surnomm��rent ?le petit Chose?, et le surnom me resta....
Ce n'��tait pas seulement ma blouse qui me distinguait des autres enfants. Les autres avaient de beaux cartables en cuir jaune, des encriers de buis qui sentaient bon, des cahiers cartonn��s, des livres neufs avec beaucoup de notes dans le bas; moi, mes livres ��taient de vieux bouquins achet��s sur les quais, moisis, fan��s, sentant le rance; les couvertures ��taient toujours en lambeaux, quelquefois il manquait des pages. Jacques faisait bien de son mieux pour me les relier avec du gros carton et de la colle forte; mais il mettait toujours trop de colle, et cela puait. Il m'avait fait aussi un cartable avec une infinit�� de poches, tr��s commode, mais toujours trop de colle. Le besoin de coller et de cartonner ��tait devenu chez Jacques une manie comme le besoin de pleurer. Il avait constamment devant le feu un tas de petits pots de colle et, d��s qu'il pouvait s'��chapper du magasin un moment, il collait, reliait, cartonnait. Le reste du temps, il portait des paquets en ville, ��crivait sous la dict��e, allait aux provisions--le commerce enfin.
Quant �� moi, j'avais compris que lorsqu'on est boursier, qu'on porte une blouse, qu'on s'appelle ?le petit Chose?, il faut travailler deux fois plus que les autres pour ��tre leur ��gal, et ma foi! Le petit Chose se mit �� travailler de tout son courage.
Brave petit Chose! Je le vois, en hiver, dans sa chambre sans feu, assis �� sa table de travail, les jambes envelopp��es d'une couverture. Au-dehors, le givre fouettait les vitres. Dans le magasin, on entendait M. Eyssette qui dictait.
?J'ai re?u votre honor��e du 8 courant.?
Et la voix pleurarde de Jacques qui reprenait:
?J'ai re?u votre honor��e du 8 courant.?
De temps en temps, la porte de la chambre s'ouvrait doucement: c'��tait Mme Eyssette qui entrait. Elle s'approchait du petit Chose sur la pointe des pieds: Chut!...
?Tu travailles? lui disait-elle tout bas.
--Oui, m��re.
--Tu n'as pas froid?
--Oh! non!?
Le petit Chose mentait, il avait bien froid, au contraire.
Alors, Mme Eyssette s'asseyait aupr��s de lui, avec son tricot, et restait l�� de longues heures, comptant ses mailles �� voix basse, avec un gros soupir de temps en temps.
Pauvre Mme Eyssette! Elle y pensait toujours �� ce cher pays qu'elle n'esp��rait plus revoir.... H��las! pour notre malheur, pour notre malheur �� tous, elle allait le revoir bient?t....

III
IL EST MORT! PRIEZ POUR LUI!
C'��tait un lundi du mois de juillet.
Ce jour-l��, en sortant du coll��ge, je m'��tais laiss�� entra?ner �� faire une partie de barres, et lorsque je me d��cidai �� rentrer �� la maison, il ��tait beaucoup plus tard que je n'aurais voulu. De la place des Terreaux �� la rue Lanterne, je courus sans m'arr��ter, mes
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