Le parfum de la Dame en noir | Page 3

Gaston Leroux
ces trois êtres! Mais, chose extraordinaire, Mathilde Stangerson n'en paraissait que plus belle encore! Certes, ce n'était plus cette magnifique personne, ce marbre vivant, cette antique divinité, cette froide beauté pa?enne qui suscitait, sur ses pas, dans les fêtes officielles de la Troisième République, auxquelles la situation en vue de son père la for?ait d'assister, un discret murmure d'admiration extasiée; il semblait, au contraire, que la fatalité, en lui faisant expier si tard une imprudence commise si jeune, ne l'avait précipitée dans une crise momentanée de désespoir et de folie que pour lui faire quitter ce masque de pierre derrière lequel se cachait l'ame la plus délicate et la plus tendre. Et c'est cette ame, encore inconnue, qui rayonnait ce jour-là, me semblait-il, du plus suave et du plus charmant éclat, sur le pur ovale de son visage, dans ses yeux pleins d'une tristesse heureuse, sur son front poli comme l'ivoire, où se lisait l'amour de tout ce qui était beau et de tout ce qui était bon.
Quant à sa toilette, j'avouerai sottement que je ne me la rappelle plus et qu'il me serait impossible de dire même la couleur de sa robe. Mais ce dont je me souviens, par exemple, c'est de l'expression étrange que prit soudain son regard en ne découvrant point parmi nous celui qu'elle cherchait. Elle ne parut redevenir tout à fait calme et ma?tresse d'elle-même que lorsqu'elle eut enfin aper?u Rouletabille derrière son pilier. Elle lui sourit et nous sourit aussi, à notre tour.
?Elle a encore ses yeux de folle!?
Je me retournai vivement pour voir qui avait prononcé cette phrase abominable. C'était un pauvre sire, que Robert Darzac, dans sa bonté, avait fait nommer aide de laboratoire, chez lui, à la Sorbonne. Il se nommait Brignolles et était vaguement cousin du marié. Nous ne connaissions point d'autre parent à M. Darzac, dont la famille était originaire du midi. Depuis longtemps, M. Darzac avait perdu son père et sa mère; il n'avait ni frère ni soeur et semblait avoir rompu toute relation avec son pays, d'où il n'avait rapporté qu'un ardent désir de réussir, une faculté de travail exceptionnelle, une intelligence solide et un besoin naturel d'affection et de dévouement qui avait trouvé avidement l'occasion de se satisfaire auprès du professeur Stangerson et de sa fille. Il avait aussi rapporté de la Provence, son pays natal, un doux accent qui avait fait d'abord sourire ses élèves de la Sorbonne, mais que ceux-ci avaient aimé bient?t comme une musique agréable et discrète qui atténuait un peu l'aridité nécessaire des cours de leur jeune ma?tre, déjà célèbre.
Un beau matin du printemps précédent, il y avait par conséquent un an environ de cela, Robert Darzac leur avait présenté Brignolles. Il venait tout droit d'Aix où il avait été préparateur de physique et où il avait d? commettre quelque faute disciplinaire qui l'avait jeté tout à coup sur le pavé; mais il s'était souvenu à temps qu'il était parent de M. Darzac, avait pris le train pour Paris et avait su si bien attendrir le fiancé de Mathilde Stangerson que celui-ci, le prenant en pitié, avait trouvé le moyen de l'associer à ses travaux. à ce moment, la santé de Robert Darzac était loin d'être florissante. Elle subissait le contrecoup des formidables émotions qui l'avaient assaillie au Glandier et en cour d'assises; mais on e?t pu croire que la guérison, désormais assurée, de Mathilde, et que la perspective de leur prochain hymen auraient la plus heureuse influence sur l'état moral et, par contrecoup, sur l'état physique du professeur. Or, nous remarquames tous au contraire que, du jour où il s'adjoignit ce Brignolles, dont le concours devait lui être, disait-il, d'un précieux soulagement, la faiblesse de M. Darzac ne fit qu'augmenter. Enfin, nous constatames aussi que Brignolles ne portait pas chance, car deux facheux accidents se produisirent coup sur coup au cours d'expériences qui semblaient cependant ne devoir présenter aucun danger: le premier résulta de l'éclatement inopiné d'un tube de Gessler dont les débris eussent pu dangereusement blesser M. Darzac et qui ne blessa que Brignolles, lequel en conservait encore aux mains quelques cicatrices. Le second, qui aurait pu être extrêmement grave, arriva à la suite de l'explosion stupide d'une petite lampe à essence, au-dessus de laquelle M. Darzac était justement penché. La flamme faillit lui br?ler la figure; heureusement, il n'en fut rien, mais elle lui flamba les cils et lui occasionna, pendant quelque temps, des troubles de la vue, si bien qu'il ne pouvait plus supporter que difficilement la pleine lumière du soleil.
Depuis les mystères du Glandier, j'étais dans un état d'esprit tel que je me trouvais tout disposé à considérer comme peu naturels les événements les plus simples. Lors de ce dernier accident, j'étais présent, étant venu chercher M. Darzac à la Sorbonne. Je conduisis moi-même notre ami
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