qui faisait le service du Havre à New- York. Par temps de brouillard, la nuit, sur les bancs de Terre- Neuve, La Dordogne avait été abordée par un trois-mats dont l'avant était entré dans sa chambre des machines. Et, pendant que le navire abordeur s'en allait à la dérive, le paquebot avait coulé à pic, en dix minutes. C'est tout juste si une trentaine de passagers dont les cabines se trouvaient sur le pont, eurent le temps de sauter dans les chaloupes. Ils furent recueillis le lendemain par un bateau de pêche qui rentra aussit?t à Saint-Jean. Les jours suivants, l'océan rejeta des centaines de morts parmi lesquels on retrouva Larsan. Les documents que l'on découvrit, soigneusement cousus et dissimulés dans les vêtements d'un cadavre, attestèrent, cette fois, que Larsan avait vécu! Mathilde Stangerson était délivrée enfin de ce fantastique époux que, grace aux facilités des lois américaines, elle s'était donné en secret, aux heures imprudentes de sa trop confiante jeunesse. Cet affreux bandit dont le véritable nom, illustre dans les fastes judiciaires, était Ballmeyer, et qui l'avait jadis épousée sous le nom de Jean Roussel, ne viendrait plus se dresser criminellement entre elle et celui qui, depuis de si longues années, silencieusement et héro?quement l'aimait. J'ai rappelé, dans Le Mystère de la Chambre Jaune, tous les détails de cette retentissante affaire, l'une des plus curieuses qu'on puisse relever dans les annales de la cour d'assises, et qui aurait eu le plus tragique dénouement sans l'intervention quasi géniale de ce petit reporter de dix-huit ans, Joseph Rouletabille, qui fut le seul à découvrir, sous les traits du célèbre agent de la s?reté Frédéric Larsan, Ballmeyer lui-même!... La mort accidentelle et, nous pouvons le dire, providentielle du misérable avait semblé devoir mettre un terme à tant d'événements dramatiques et elle ne fut point -- avouons-le -- l'une des moindres causes de la guérison rapide de Mathilde Stangerson, dont la raison avait été fortement ébranlée par les mystérieuses horreurs du Glandier.
?Voyez-vous, mon cher ami, disait ma?tre Henri-Robert à ma?tre André Hesse, dont les yeux inquiets faisaient le tour de l'église, -- voyez-vous, dans la vie, il faut être décidément optimiste. Tout s'arrange! même les malheurs de Mlle Stangerson... Mais qu'avez-vous à regarder tout le temps ainsi derrière vous? Qui cherchez-vous?... Vous attendez quelqu'un?
-- Oui, répondit ma?tre André Hesse... J'attends Frédéric Larsan!?
Ma?tre Henri-Robert rit autant que la sainteté du lieu lui permettait de rire; mais moi je ne ris point, car je n'étais pas loin de penser comme ma?tre Hesse. Certes! j'étais à cent lieues de prévoir l'effroyable aventure qui nous mena?ait; mais, quand je me reporte à cette époque et que je fais abstraction de tout ce que j'ai appris depuis -- ce à quoi, du reste, je m'appliquerai honnêtement au cours de ce récit, ne laissant appara?tre la vérité qu'au fur et à mesure qu'elle nous fut distribuée à nous-mêmes -- je me rappelle fort bien le curieux émoi qui m'agitait alors à la pensée de Larsan.
?Allons, Sainclair! fit ma?tre Henri-Robert qui s'était aper?u de mon attitude singulière, vous voyez bien que Hesse plaisante...
-- Je n'en sais rien!? répondis-je.
Et voilà que je regardai attentivement autour de moi, comme l'avait fait ma?tre André Hesse. En vérité, on avait cru Larsan mort si souvent quand il s'appelait Ballmeyer, qu'il pouvait bien ressusciter une fois de plus à l'état de Larsan.
?Tenez! voici Rouletabille, dit ma?tre Henri-Robert. Je parie qu'il est plus rassuré que vous.
-- Oh! oh! il est bien pale!? fit remarquer ma?tre André Hesse.
Le jeune reporter s'avan?ait vers nous. Il nous serra la main assez distraitement.
?Bonjour, Sainclair; bonjour, messieurs... Je ne suis pas en retard??
Il me sembla que sa voix tremblait... Il s'éloigna tout de suite, s'isola dans un coin, et je le vis s'agenouiller sur un prie-Dieu comme un enfant. Il se cacha le visage, qu'il avait en effet fort pale, dans les mains, et pria.
Je ne savais point que Rouletabille f?t pieux et son ardente prière m'étonna. Quand il releva la tête, ses yeux étaient pleins de larmes. Il ne les cachait pas; il ne se préoccupait nullement de ce qui se passait autour de lui; il était tout entier à sa prière et peut-être à son chagrin. Quel chagrin? Ne devait-il pas être heureux d'assister à une union désirée de tous? Le bonheur de Robert Darzac et de Mathilde Stangerson n'était-il point son oeuvre?... Après tout, c'était peut-être de bonheur que pleurait le jeune homme. Il se releva et alla se dissimuler dans la nuit d'un pilier. Je n'eus garde de l'y suivre, car je voyais bien qu'il désirait rester seul.
Et puis, c'était le moment où Mathilde Stangerson faisait son entrée dans l'église, au bras de son père. Robert Darzac marchait derrière eux. Comme ils étaient changés tous les trois! Ah! le drame du Glandier avait passé bien douloureusement sur
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