et bon mari qui vous
plaise et qui nous plaise à tous.
--Ne pense pas à cela, ma mère, reprit Gilberte avec feu. Je te fais le
serment devant Dieu que mon père a dit la vérité. Je ne veux pas
encore me marier, et je désire que tout le monde le sache, afin que
tous les prétendants soient écartés. Ah! si vous voulez
m'entourer d'importunités pareilles, vous m'ôterez tout le bonheur
dont je jouis auprès de vous et vous me ferez une triste jeunesse! mais
ce sera me rendre malheureuse en pure perte, car je ne changerai pas de
résolution, et je mourrai plutôt que de me séparer de vous.
--Et qui te parle de nous séparer? dit Janille. L'homme qui t'aimera
ne voudra pas te faire de peine; et toi, d'ailleurs, tu ne sais pas ce que tu
penseras quand tu aimeras quelqu'un. Ah! ma pauvre enfant! ce sera
peut-être alors notre tour de pleurer, car il est écrit que la femme
quittera son père et sa mère pour suivre son mari, et celui qui a dit
cela connaissait le cœur des femmes.
--Oh! s'écria Émile, c'est là une loi d'obéissance, et non une
loi d'amour. L'homme qui aimera véritablement Gilberte aimera ses
parents et ses amis comme les siens propres, et ne voudra pas plus l'en
séparer qu'il ne voudra s'en éloigner lui-même.»
Ici Janille rencontra les regards passionnés des deux amants qui se
cherchaient, et toute sa prudence lui revint.
«Pardine, Monsieur! dit-elle d'un ton un peu sec, vous vous mêlez
de choses qui ne vous regardent guère, et m'est avis que toutes mes
explications sont bien déplacées devant vous; mais puisque vous
vous êtes obstiné à les entendre, et que M. Antoine trouve cela
fort sage, je vous dirai, moi, que je vous défends de répéter, et
surtout de croire ce que ma fille vient de dire dans un beau mouvement
de dépit contre votre Galuchet. Car enfin tous les hommes ne sont
pas taillés, Dieu merci, sur ce patron-là , et nous n'avons pas besoin
que le monde la condamne à rester fille, parce qu'elle veut un mari
plus agréable. Nous le lui trouverons fort bien, soyez tranquille; et ne
vous imaginez pas que, parce qu'elle n'est pas riche comme vous, elle
séchera sur pied.
--Allons, allons, Janille! dit M. Antoine, en prenant la main d'Émile,
c'est vous qui dites des choses déplacées. Il semblerait que vous
voulez faire de la peine à notre ami ... Vous hochez trop de la tête: je
vous dis que c'est notre meilleur ami après Jean, qui a le droit
d'ancienneté; et je déclare que personne, depuis vingt ans que je
suis, par ma pauvreté, à même d'apprécier les sentiments
désintéressés, ne m'a montré et inspiré autant d'affection
qu'Émile. C'est pourquoi je dis qu'il ne sera jamais de trop dans nos
petits secrets de famille. Il est, par sa raison, la noblesse de ses idées
et son instruction, fort au-dessus de son âge et du nôtre. C'est
pourquoi nous ne pourrions prendre un meilleur conseil. Je le regarde
comme le frère de Gilberte, et je vous réponds que s'il se
présentait pour elle un parti sortable, il nous éclairerait sur les
convenances de caractère, qu'il s'emploierait pour faire réussir un
mariage qui la rendrait heureuse, et pour empêcher le contraire. Vos
taquineries n'ont donc pas le sens commun, Janille; si je l'ai mis dans
ma confidence, j'ai su ce que je faisais: vous me traitez aussi par trop
comme un petit enfant!
--Ah bien! Monsieur, vous cherchez noise à votre tour? dit Janille
très-animée. Eh bien, soit! c'est le jour des vérités, et je
parlerai, puisqu'on me pousse à bout. Je vous dis, moi, et je dis à M.
Émile, parlant à sa personne, qu'il est beaucoup trop jeune pour ce
rôle d'ami de la maison, et que cela doit se refroidir un peu, ou vous
en sentirez les inconvénients. Par exemple, aujourd'hui même,
l'occasion s'en montre, et vous vous en apercevrez. Voilà un jeune
homme qui se présente pour épouser Gilberte, nous n'en voulons
point, c'est fort bien, c'est entendu; mais qui empêchera ce
prétendant éconduit de croire et de dire, ne fût-ce que pour se
venger un peu, que c'est à cause de M. Émile, et de l'ambition
qu'on a, dans la maison, de faire un riche mariage, qu'on n'écoute
personne autre? Je ne dis pas que M. Émile soit capable d'avoir de
pareilles idées, je suis sûre du contraire. Il nous connaît assez
pour savoir qui nous sommes. Mais de sottes gens le penseront, et cela
nous fera passer pour des sots. Comment! nous allons mettre M.
Galuchet Ã
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