Le péché de Monsieur Antoine, Tome 2 | Page 8

George Sand
rire; car il faut rire de cela,
mon enfant, et ne point t'en fâcher. Ce garçon croit te faire honneur
et te donner une preuve d'estime; reçois-la de même, et dis-lui, ou
fais-lui dire très-sérieusement que tu le remercies, mais que tu ne
veux point de lui. Je ne vois point du tout pourquoi tu t'inquiètes:
est-ce que tu t'imagines, par hasard, que je suis d'humeur
à l'encourager? Ah! bien, oui, il aurait cent mille francs, cent millions
d'écus, que je ne le trouverais pas fait pour ma fille! Le vilain, avec
ses gros yeux et son air content d'être au monde, qu'il aille plus loin!
nous n'avons point ici de fille à lui donner! Ah! mais, ma mie Janille
s'y connaît, et sait qu'on ne met point, dans un bouquet, le chardon
à côté de la rose.
--C'est bien parler, bonne Janille! s'écria Émile, et vous êtes
digne d'être appelée sa mère!
--Et qu'est-ce que cela vous fait, Ã vous, Monsieur! dit Janille,
animée et montée par sa propre éloquence; qu'avez-vous
à voir dans nos petites affaires? Savez-vous du mal de ce
prétendant? c'est fort inutile de nous le dire: nous n'avons pas besoin
de vous pour nous en débarrasser.
--Laisse, Janille, ne le gronde pas, dit Gilberte en caressant sa vieille
amie. Cela me fait du bien d'entendre dire que les prétentions de cet
homme-là sont un outrage pour moi, car je me sens humiliée d'y
songer. J'en ai froid, j'en suis malade. Et mon père ne comprend pas
cela, pourtant! Mon père se trouve honoré par sa demande et ne
saura rien lui dire pour me préserver de sa vue!
--Ah! ah! reprit Janille en riant, c'est lui qui a tort comme à l'ordinaire,
le méchant homme! c'est lui qui fait pleurer sa fille! Ah mais!
Monsieur, voulez-vous par hasard faire le tyran ici? Ne comptez pas
là -dessus, car ma mie Janille n'est pas morte et n'a pas envie de
mourir.

--C'est cela, dit M. Antoine; c'est moi qui suis un despote, un père
dénaturé! Bien, bien! tombez sur moi, si cela vous soulage.
Ensuite, ma fille voudra peut-être bien me dire à qui elle en a, et ce
que j'ai fait de si criminel.
--Mon bon père, dit Gilberte, en se jetant dans ses bras, laissons ces
tristes plaisanteries, et dépêche-toi de renvoyer d'ici, pour toujours,
M. Galuchet, afin que je respire, et que j'oublie ce mauvais rêve.
--Ah! voilà le hic, répondit M. Antoine, il s'agit de savoir ce que je
vais lui écrire, et c'est pour cela qu'il est bon de tenir conseil.
--Entends-tu, mère! dit Gilberte à Janille, il ne sait que lui
répondre? apparemment il n'a pas su refuser.
--Eh bien, mon enfant, ton père n'a pas tant de tort, répondit Janille,
car, moi aussi, j'ai reçu la demande de ton beau soupirant, je l'ai
écouté sans m'émouvoir, et je ne lui ai dit ni oui, ni non. Allons!
allons! ne te fâche pas. C'est comme cela qu'il faut agir, et
consultons-nous tranquillement. On ne peut pas dire à ce garçon:
«Vous me déplaisez», cela ne se dit pas. On ne peut pas lui dire
non plus: «Nous sommes de bonne maison, et vous vous appelez
Galuchet;» car cela serait dur et mortifiant.
--Et ce ne serait pas là une raison, dit Gilberte. Que nous importe la
noblesse à présent? La vraie noblesse est dans le cœur, et non
dans de vains titres. Ce n'est pas le nom de Galuchet qui me répugne,
ce sont les manières et les sentiments de l'homme qui le porte.
--Ma fille a raison: le nom, la profession et la fortune n'y font rien, dit
M. Antoine. Ce n'est donc pas de cela que nous pouvons nous servir.
On ne peut pas reprocher non plus à un homme les défauts de sa
personne. Ce que nous avons de mieux à dire, c'est que Gilberte ne
veut pas se marier.
--Ah mais! Monsieur, un petit moment, dit Janille, je n'entends pas
qu'on dise cela, moi; car si ce jeune homme allait le répéter
(comme cela ne peut manquer), il ne se présenterait plus personne, et

je ne suis pas d'avis que ma fille se fasse religieuse.
--Il faut pourtant alléguer quelque chose, reprit M. Antoine. Disons,
en ce cas, qu'elle ne veut pas se marier encore, et que nous la trouvons
trop jeune.
--Oui, oui, c'est cela, mon père! vous avez trouvé la meilleure
raison, et c'est la vraie; je ne veux pas me marier encore, je suis trop
jeune.
--Ce n'est pas vrai! s'écria Janille. Vous êtes en âge, et je
prétends qu'avant peu vous trouviez un beau
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