Le péché de Monsieur Antoine, Tome 2 | Page 6

George Sand
il ne demande pas ce qu'elle a. Il sait sans doute
qu'elle n'a rien, et il veut lui donner tout ce qu'il possède. C'est un
prétendant bien intentionné, qu'il faut refuser honnêtement, avec
douceur et amitié.»
Et, ne sachant comment s'y prendre, n'osant exposer Gilberte au
soupçon d'être vaine de son nom, ou au ressentiment d'un cœur
blessé par son aversion, il ne trouva rien de mieux que de ne pas se
prononcer, et de demander du temps pour réfléchir et se consulter.
Galuchet demanda aussi la permission de revenir, non pas
précisément faire sa cour, mais s'informer de son sort, et il y fut
autorisé, bien que le pauvre Antoine tremblât en lui faisant cette
réponse.
Il le mena au bord de la rivière pour l'installer à la pêche, bien que
Galuchet n'eût rien apporté pour cela, et désirât fort rester au
château. Antoine le promena du moins au bord de la Creuse pour lui
indiquer les bons endroits, et, chemin faisant, il eut la faiblesse et la
bonhomie de lui demander pardon pour les taquineries et les malices de
Jean. Galuchet prit la chose à merveille, rejeta tout le tort sur
lui-même, en disant toutefois, pour se montrer sous un meilleur jour,
qu'il avait été grisé par surprise, et que s'il n'était pas capable
de porter le vin, c'est parce qu'il était habitué à une grande
sobriété. «A la bonne heure! dit Antoine, Janille avait craint que
vous ne fussiez un peu intempérant; mais ce qui vous est arrivé
prouve bien le contraire.»

Ils causèrent assez longtemps, et Galuchet s'obstinant à ne pas partir,
quoiqu'il vît bien à l'inquiétude de son hôte qu'il eût voulu ne
pas le ramener au château, ils y revinrent, et Galuchet prit aussi
Janille à part pour lui confier ses intentions et donner à Antoine le
temps de prévenir Gilberte. Il comptait bien sur le dépit qu'elle en
éprouverait; car, cette fois, n'étant pas ivre, il voyait fort
clairement l'air irrité d'Émile, et les sentiments de Gilberte pour le
protecteur qu'elle avait choisi.
«Cette fois-ci, se disait-il, M. Cardonnet ne me reprochera pas d'avoir
perdu mon temps. Mes beaux amoureux vont être dans une furieuse
colère contre moi, et M. Émile ne pourra pas se tenir de me
chercher noise.» Galuchet n'était pas poltron, et bien qu'il ne
supposât pas Émile capable d'un duel à coups de poings, il se
disait avec une certaine satisfaction qu'il était de force à lui tenir
tête. Quant à une véritable partie d'honneur, cela eût été
moins de son goût, parce qu'il n'entendait rien aux armes courtoises;
mais il pouvait bien compter que M. Cardonnet saurait l'en préserver.
Pendant qu'il entretenait Janille, M. de Châteaubrun resta avec sa fille
et Émile dans le verger et leur raconta ce qui venait de se passer
entre lui et Galuchet, mais avec quelques précautions oratoires.
«Eh bien, dit-il, vous l'accusez d'être un sot et un impertinent, vous
allez vous repentir de votre dureté; car c'est là véritablement un
digne garçon, et j'en ai la preuve. Je puis raconter cela devant
Émile qui est notre ami, et même si Gilberte voulait examiner la
chose sans prévention, elle pourrait lui demander des renseignements
certains sur ce jeune homme ... dites, Émile, en votre âme et
conscience, est-ce un homme probe?
--Sans aucun doute, répondit Émile. Mon père l'emploie depuis
trois ans, et serait très-fâché de le perdre.
--Est-il d'un bon caractère?
--Quoiqu'il n'en ait guère donné la preuve ici l'autre jour, je dois
dire qu'il est fort tranquille, et tout à fait inoffensif à l'habitude.

--Il n'est point sujet à s'enivrer?
--Non pas que je sache.
--Eh bien, qu'a-t-on à lui reprocher?
--S'il n'avait pas pris fantaisie de devenir notre commensal, je le
trouverais accompli, dit Gilberte.
--Il te déplaît donc bien? reprit M. Antoine en s'arrêtant pour la
regarder en face.
--Eh non, mon père, répondit-elle, étonnée de cet air solennel.
Ne prenez pas mon éloignement si fort au sérieux. Je ne hais
personne; et si la société de ce jeune homme a quelque
agrément pour vous, s'il vous a donné quelque raison plausible de
l'estimer particulièrement, à Dieu ne plaise que je vous en prive par
un caprice! Je ferai un effort sur moi-même, et j'arriverai peut-être
à partager la bonne opinion que mon digne père a de lui.
--Voilà parler comme une bonne et sage fille, et je reconnais ma
Gilberte. Sache donc, petite, que c'est toi, moins que personne, qui dois
mépriser le caractère de ce garçon-là ; que si tu n'éprouves
aucun attrait pour lui, tu dois du moins le traiter avec politesse
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