Le péché de Monsieur Antoine, Tome 2 | Page 2

George Sand
respecte
autant que ma propre mère, mon meilleur ami n'en saurait rien.
--Je sais fort bien que je ne suis pas votre meilleur ami, et pourtant je
voudrais le savoir, moi.
--Expliquez-vous, Jean.
--Expliquez-vous vous-même, je vous attends.
--Vous attendrez donc longtemps; car je n'ai rien à répondre à une
pareille question, malgré toute l'estime et l'affection que je vous
porte.
--S'il en est ainsi, il faudra donc que vous disiez, un de ces jours, adieu
tout à fait aux gens de Châteaubrun; car ma mie Janille n'est pas
femme à s'endormir longtemps sur le danger.
--Ce mot me blesse; je ne croyais pas qu'on pût m'accuser de faire

courir un danger quelconque à une personne dont la réputation et la
dignité me sont aussi sacrées qu'à ses parents et à ses plus
proches amis.
--C'est bien parler, mais cela ne répond pas tout droit à mes
questions. Voulez-vous que je vous dise une chose? c'est qu'au
commencement de la semaine dernière, j'ai été
à Châteaubrun pour emprunter à Antoine un outil dont j'avais
besoin. J'y ai trouvé ma mie Janille; elle était toute seule, et vous
attendait. Vous n'y êtes pas venu, et elle m'a tout conté. Or, mon
garçon, si elle ne vous a pas fait mauvaise mine dimanche, et si elle
vous permet de revenir de temps en temps voir sa fille, c'est à moi que
vous le devez.
--Comment cela, mon brave Jean?
--C'est que j'ai plus de confiance en vous que vous n'en avez en moi.
J'ai dit à ma mie Janille que si vous étiez amoureux de Gilberte,
vous l'épouseriez, et que je répondais de vous sur le salut de mon
âme.
--Et vous avez eu raison, Jean, s'écria Émile en saisissant le bras
du charpentier: jamais vous n'avez dit une plus grande vérité.
--Oui! mais reste à savoir si vous êtes amoureux, et c'est ce que vous
ne voulez pas dire.
--C'est ce que je peux dire à vous seul, puisque vous m'interrogez
ainsi. Oui, Jean, je l'aime, je l'aime plus que ma vie et je veux
l'épouser.
--J'y consens, répondit Jean avec un accent de gaieté enthousiaste,
et quant à moi, je vous marie ensemble ... Un instant! un instant! si
Gilberte y consent aussi.
--Et si elle te demandait conseil, brave Jean, toi, son ami et son second
père?

--Je lui dirais qu'elle ne peut pas mieux choisir, que vous me convenez
et que je veux vous servir de témoin.
--Eh bien, maintenant, ami, il n'y a plus qu'Ã obtenir le consentement
des parents.
--Oh! je vous réponds d'Antoine, si je m'en mêle. Il a de la fierté;
il craindra que votre père n'hésite, mais je sais ce que j'ai à lui
dire là -dessus.
--Quoi donc, que lui direz-vous?
--Ce que vous ne savez pas, ce que je sais à moi tout seul; je n'ai pas
besoin d'en parler encore, car le temps n'est pas venu, et vous ne
pouvez pas penser à vous marier avant un an ou deux.
--Jean, confiez-moi ce secret comme je vous ai confié le mien. Je ne
vois qu'un obstacle à ce mariage: c'est la volonté de mon père. Je
suis résolu à le vaincre, mais je ne me dissimule pas qu'il est grand.
--Eh bien, puisque tu as été si confiant et si franc avec le vieux
Jean, le vieux Jean agira de même à ton égard. Écoute, petit:
avant peu, ton père sera ruiné et n'aura plus sujet de faire le fier
avec la famille de Châteaubrun.
--Si tu disais vrai, ami, malgré le chagrin que mon père devrait en
ressentir, je bénirais ta singulière prophétie; car il y a bien
d'autres motifs qui me font redouter cette fortune.
--Je le sais, je connais ton cœur, et je vois que tu voudrais enrichir les
autres avant toi-même. Tout s'arrangera comme tu le souhaites, je te le
prédis. Je l'ai rêvé plus de dix fois.
--Si vous n'avez fait que le rêver, mon pauvre Jean ...
--Attendez, attendez ... Qu'est-ce que c'est que ce livre-là , que vous
portez toujours sous le bras et que vous avez l'air d'étudier?
--Je te l'ai dit, un traité savant sur la force de l'eau, sur la pesanteur,

sur les lois de l'équilibre ...
--Je m'en souviens fort bien, vous me l'avez déjà dit; mais je vous
dis, moi, que votre livre est un menteur, ou que vous l'avez mal
étudié: autrement vous sauriez ce que je sais.
--Quoi donc?
--C'est que votre usine est impossible, et que votre père, s'obstinant
Ã
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