socialistes d'incendier les esprits, devraient se rappeler qu'ils ont oublie d'apprendre a lire aux paysans.
Renierai-je, maintenant que les masses s'agitent, le communisme de M. de Boisguilbault, personnage tres-excentrique, et cependant pas tout a fait imaginaire, de mon roman? Dieu m'en garde, surtout apres que, sur tous les tons, on a accuse les socialistes de precher le partage des proprietes.
L'idee diametralement contraire, celle de communaute par association, devrait etre la moins dangereuse de toutes aux yeux des conservateurs, puisque c'est malheureusement la moins comprise et la moins admise par les masses. Elle est surtout antipathique dans la campagne et n'y sera realisable que par l'initiative d'un gouvernement fort, ou par une renovation philosophique, religieuse et chretienne, ouvrage des siecles peut-etre!
Des essais d'associations ouvrieres ont ete cependant tentes dans la portion la plus instruite, la plus morale, la plus patiente du peuple industriel des grandes villes. Les gouvernements eclaires, quelle que soit leur devise, protegeront toujours ces associations, parce qu'elles offrent un asile a la pensee veritablement sociale et religieuse de l'avenir. Imparfaites a leur naissance probablement, elles se completeront avec le temps, et quand il sera bien prouve qu'elles ne detruisent pas, mais conservent, au contraire, le respect de la famille et de la propriete, elles entraineront insensiblement toutes les classes dans une reciprocite et une solidarite d'interets et de devouements, seule voie de salut ouverte a la societe future!
GEORGE SAND.
* * * * *
I
EGUZON.
Il est peu de gites aussi maussades en France que la ville d'Eguzon, situee aux confins de la Marche et du Berry, dans la direction sud-ouest de cette derniere province. Quatre-vingts a cent maisons, d'apparence plus ou moins miserable (a l'exception de deux ou trois, dont nous ne nommerons point les opulents proprietaires, de peur d'attenter a leur modestie), composent les deux ou trois rues, et ceignent la place de cette bourgade fameuse a dix lieues a la ronde pour l'esprit procedurier de sa population et la difficulte de ses abords. Malgre ce dernier inconvenient qui va bientot disparaitre, grace au trace d'une nouvelle route, Eguzon voit souvent des voyageurs traverser hardiment les solitudes qui l'environnent, et risquer leurs carrioles sur son pave terrible. L'unique auberge est situee sur l'unique place, laquelle est d'autant plus vaste, qu'elle s'ouvre sur la campagne, comme si elle attendait les constructions nouvelles de futurs citadins, et cette auberge est parfois forcee, dans la belle saison, d'inviter les trop nombreux arrivants a s'installer dans les maisons du voisinage, qui leur sont ouvertes, il faut le dire, avec beaucoup d'hospitalite. C'est qu'Eguzon est le point central d'une region pittoresque semee de ruines imposantes, et que, soit qu'on veuille voir Chateaubrun, Crozant, la Prugne-au-Pot, ou enfin le chateau encore debout et habite de Saint-Germain, il faut necessairement aller coucher a Eguzon, afin de partir, des le matin suivant, pour ces differentes excursions.
Il y a quelques annees, par une soiree de juin, lourde et orageuse, les habitants d'Eguzon ouvrirent de grands yeux en voyant un jeune homme de bonne mine traverser la place pour sortir de la ville, un peu apres le coucher du soleil. Le temps menacait, la nuit se faisait plus vite que de raison, et pourtant le jeune voyageur, apres avoir pris un leger repas a l'auberge, et s'etre arrete le temps strictement necessaire pour faire rafraichir son cheval, se dirigeait hardiment vers le nord, sans s'inquieter des representations de l'aubergiste, et sans paraitre se soucier des dangers de la route. Personne ne le connaissait; il n'avait repondu aux questions que par un geste d'impatience, et aux remontrances que par un sourire. Quand le bruit des fers de sa monture se fut perdu dans l'eloignement: "Voila, dirent les flaneurs de l'endroit, un garcon qui connait bien le chemin, ou qui ne le connait pas du tout. Ou il y a passe cent fois, et sait le nom du moindre caillou, ou bien il ne se doute pas de ce qui en est, et va se trouver fort en peine.
--C'est un etranger qui n'est pas d'ici, dit judicieusement un homme capable: il n'a voulu ecouter que sa tete; mais, dans une demi-heure, quand l'orage eclatera, vous le verrez revenir!
--S'il ne se casse pas le cou auparavant a la descente du pont des Piles! observa un troisieme.
--Ma foi, firent en choeur les assistants, c'est son affaire! Allons fermer nos contrevents, de peur que la grele n'endommage nos vitres."
Et l'on entendit par la ville un grand bruit de portes et de fenetres que l'on se hatait d'accoter, tandis que le vent, qui commencait a mugir sur les bruyeres, devancait de rapidite les servantes essoufflees, et renvoyait a leur nez les battants de ces lourdes huisseries, ou les ouvriers du pays, conformement aux traditions de leurs ancetres, n'ont epargne ni le bois de chene, ni le ferrage. De temps en temps, une voix se faisait entendre
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