Le nabab, tome I | Page 9

Alphonse Daudet
�� la derni��re de ses batisses, un immeuble �� cinq ��tages, que la rue semblait avoir envoy�� en reconnaissance pour savoir si elle pouvait continuer de ce c?t��, isol�� qu'il ��tait entre des terrains vagues attendant des constructions prochaines ou remplis de mat��riaux de d��molitions, avec des pierres de taille, de vieilles persiennes pos��es sur le vide, des ais moisis dont les ferrures pendaient, immense ossuaire de tout un quartier abattu.
D'innombrables ��criteaux se balan?aient au-dessus de la porte d��cor��e d'un grand cadre de photographies blanc de poussi��re, aupr��s duquel Jenkins resta un moment en arr��t. L'illustre m��decin ��tait-il donc venu si loin pour se faire faire un portrait-carte? On aurait pu le croire, �� l'attention qui le retenait devant cet ��talage, dont les quinze ou vingt photographies repr��sentaient la m��me famille en des allures, des poses et des expressions diff��rentes: un vieux monsieur, le menton soutenu par une haute cravate blanche, une serviette de cuir sous le bras, entour�� d'une nich��e de jeunes filles coiff��es en nattes ou en boucles, de modestes ornements sur leurs robes noires. Quelquefois le vieux monsieur n'avait pos�� qu'avec deux de ses fillettes; ou bien une de ces jeunes et jolies silhouettes se dessinait, solitaire, le coude sur une colonne tronqu��e, la t��te pench��e sur un livre, dans une pose naturelle et abandonn��e. Mais en somme c'��tait toujours le m��me motif avec des variantes, et il n'y avait pas dans la vitrine d'autre monsieur que le vieux monsieur �� cravate blanche, pas d'autres figures f��minines que celles de ses nombreuses filles.
?Les ateliers dans la maison, au cinqui��me,? disait une ligne dominant le cadre. Jenkins soupira, mesura de l'oeil la distance qui s��parait le sol du petit balcon l��-haut, pr��s des nuages; puis il se d��cida �� entrer. Dans le couloir, il se croisa avec une cravate blanche et une majestueuse serviette en cuir, ��videmment le vieux monsieur de l'��talage. Interrog��, celui-ci r��pondit que M. Maranne habitait en effet le cinqui��me: ?Mais, ajouta-t-il avec un sourire engageant, les ��tages ne sont pas hauts.? Sur cet encouragement, l'Irlandais se mit �� monter un escalier ��troit et tout neuf avec des paliers pas plus grands qu'une marche, une seule porte par ��tage, et des fen��tres coup��es qui laissaient voir une cour aux pav��s tristes et d'autres cages d'escalier, toutes vides; une de ces affreuses maisons modernes, baties �� la douzaine par des entrepreneurs sans le sou et dont le plus grand inconv��nient consiste en des cloisons minces qui font vivre tous les habitants dans une communaut�� de phalanst��re. En ce moment, l'incommodit�� n'��tait pas grande, le quatri��me et le cinqui��me ��tages se trouvant seuls occup��s, comme si les locataires y ��taient tomb��s du ciel.
Au quatri��me, derri��re une porte dont la plaque en cuivre annon?ait ?M. JOYEUSE, expert en ��critures,? le docteur entendit un bruit de rires frais, de jeunes bavardages, de pas ��tourdis qui l'accompagn��rent jusqu'au-dessus, jusqu'�� l'��tablissement photographique.
C'est une des surprises de Paris que ces petites industries perch��es dans des coins et qui ont l'air de n'avoir aucune communication avec le dehors. On se demande comment vivent les gens qui s'installent dans ces m��tiers-l��, quelle providence m��ticuleuse peut envoyer par exemple des clients �� un photographe log�� au cinqui��me dans des terrains vagues, tout en haut de la rue Saint-Ferdinand, ou des ��critures �� tenir au comptable du dessous. Jenkins, en se faisant cette r��flexion, sourit de piti��, puis entra tout droit comme l'y invitait l'inscription suivante: ?Entrez sans frapper.? H��las on n'abusait gu��re de la permission... Un grand gar?on �� lunettes, en train d'��crire sur une petite table, les jambes entortill��es d'une couverture de voyage, se leva pr��cipitamment pour venir au devant du visiteur que sa myopie l'avait emp��ch�� de reconna?tre.
?Bonjour, Andr��... dit le docteur tendant sa main loyale.
--Monsieur Jenkins!
--Tu vois, je suis bon enfant comme toujours... Ta conduite envers nous, ton obstination �� vivre loin de tes parents commandaient �� ma dignit�� une grande r��serve; mais ta m��re a pleur��. Et me voil��.?
Il regardait, tout en parlant, ce pauvre petit atelier, dont les murs nus, les meubles rares, l'appareil photographique tout neuf, la petite chemin��e �� la prussienne, neuve aussi, et n'ayant jamais vu le feu, s'��clairaient d��sastreusement sous la lumi��re droite qui tombait du toit de verre. La mine tir��e, la barbe gr��le du jeune homme, �� qui la couleur claire de ses yeux, la hauteur ��troite de son front, ses cheveux longs et blonds rejet��s en arri��re donnaient l'air d'un illumin��, tout s'accentuait dans le jour cru; et aussi l'apre vouloir de ce regard limpide qui fixait Jenkins froidement et d'avance opposait �� toutes ses raisons, �� toutes ses protestations, une invincible r��sistance.
Mais le bon Jenkins feignait de ne pas s'en apercevoir:
?Tu le sais, mon cher Andr��... Du jour o�� j'ai ��pous�� ta m��re, je t'ai regard�� comme mon fils. Je comptais te
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