Le mystère de la chambre jaune | Page 7

Gaston Leroux
sans doute de calmer cette fièvre qui, visiblement,
le dominait, et puis il me méprisa:
-- Jeune homme! Fit-il, sur un ton dont je n’essaierai point de rendre la regrettable ironie,
jeune homme... vous êtes avocat, et je ne doute pas de votre talent à faire acquitter les
coupables; mais, si vous êtes un jour magistrat instructeur, combien vous sera-t-il facile
de faire condamner les innocents!... Vous êtes vraiment doué, jeune homme.»
Sur quoi, il fuma avec énergie, et reprit:
«On ne trouvera aucune trappe, et le mystère de la «Chambre Jaune» deviendra de plus,
plus en plus mystérieux. Voilà pourquoi il m’intéresse. Le juge d’instruction a raison: on
n’aura jamais vu quelque chose de plus étrange que ce crime-là...
-- Avez-vous quelque idée du chemin que l’assassin a pu prendre pour s’enfuir?
demandai-je.
-- Aucune, me répondit Rouletabille, aucune pour le moment... Mais j’ai déjà mon idée
faite sur le revolver, par exemple... Le revolver n’a pas servi à l’assassin...
-- Et à qui donc a-t-il servi, mon Dieu? ...
-- Eh bien, mais... «à Mlle Stangerson...»
-- Je ne comprends plus, fis-je... Ou mieux je n’ai jamais compris...»
Rouletabille haussa les épaules:
«Rien ne vous a particulièrement frappé dans l’article du _Matin_?
-- Ma foi non... j’ai trouvé tout ce qu’il raconte également bizarre...
-- Eh bien, mais... et la porte fermée à clef?
-- C’est la seule chose naturelle du récit...
-- Vraiment! ... Et le verrou? ...
-- Le verrou?
-- Le verrou poussé à l’intérieur? ... Voilà bien des précautions prises par Mlle
Stangerson... «Mlle Stangerson, quant à moi, savait qu’elle avait à craindre quelqu’un;
elle avait pris ses précautions; «elle avait même pris le revolver du père Jacques», sans lui
en parler. Sans doute, elle ne voulait effrayer personne; elle ne voulait surtout pas
effrayer son père... «Ce que Mlle Stangerson redoutait est arrivé...» et elle s’est défendue,
et il y a eu bataille et elle s’est servie assez adroitement de son revolver pour blesser
l’assassin à la main -- ainsi s’explique l’impression de la large main d’homme
ensanglantée sur le mur et sur la porte, de l’homme qui cherchait presque à tâtons une
issue pour fuir -- mais elle n’a pas tiré assez vite pour échapper au coup terrible qui
venait la frapper à la tempe droite.
-- Ce n’est donc point le revolver qui a blessé Mlle Stangerson à la tempe?
-- Le journal ne le dit pas, et, quant à moi, je ne le pense pas; toujours parce qu’il
m’apparaît logique que le revolver a servi à Mlle Stangerson contre l’assassin.
Maintenant, quelle était l’arme de l’assassin? Ce coup à la tempe semblerait attester que
l’assassin a voulu assommer Mlle Stangerson... Après avoir vainement essayé de
l’étrangler... L’assassin devait savoir que le grenier était habité par le père Jacques, et
c’est une des raisons pour lesquelles, je pense, il a voulu opérer avec une «arme de
silence», une matraque peut-être, ou un marteau...
-- Tout cela ne nous explique pas, fis-je, comment notre assassin est sorti de la «Chambre
Jaune»!

-- Èvidemment, répondit Rouletabille en se levant, et, comme il faut l’expliquer, je vais
au château du Glandier, et je viens vous chercher pour que vous y veniez avec moi...
-- Moi!
-- Oui, cher ami, j’ai besoin de vous. _L’Èpoque_ m’a chargé définitivement de cette
affaire, et il faut que je l’éclaircisse au plus vite.
-- Mais en quoi puis-je vous servir?
-- M. Robert Darzac est au château du Glandier.
-- C’est vrai... son désespoir doit être sans bornes!
-- Il faut que je lui parle...»
Rouletabille prononça cette phrase sur un ton qui me surprit:
«Est-ce que... Est-ce que vous croyez à quelque chose d’intéressant de ce côté? ...
demandai-je.
-- Oui.»
Et il ne voulut pas en dire davantage. Il passa dans mon salon en me priant de hâter ma
toilette.
Je connaissais M. Robert Darzac pour lui avoir rendu un très gros service judiciaire dans
un procès civil, alors que j’étais secrétaire de maître Barbet-Delatour. M. Robert Darzac,
qui avait, à cette époque, une quarantaine d’années, était professeur de physique à la
Sorbonne. Il était intimement lié avec les Stangerson, puisque après sept ans d’une cour
assidue, il se trouvait enfin sur le point de se marier avec Mlle Stangerson, personne d’un
certain âge (elle devait avoir dans les trente-cinq ans), mais encore remarquablement
jolie.
Pendant que je m’habillais, je criai à Rouletabille qui s’impatientait dans mon salon:
«Est-ce que vous avez une idée sur la condition de l’assassin?
-- Oui, répondit-il, je le crois sinon un homme du monde, du moins d’une classe assez
élevée... Ce n’est encore qu’une impression...
-- Et qu’est-ce qui vous la donne, cette impression?
-- Eh bien, mais, répliqua le jeune homme, le béret crasseux, le mouchoir vulgaire et les
traces
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