Le mystère de la chambre jaune | Page 5

Gaston Leroux
qu’il soit_, si le plafond n’a pas de trou, si le plancher ne cache pas de souterrain, ?il faudra bien croire au diable?, comme dit le père Jacques!?
Et le rédacteur anonyme fait remarquer, dans cet article --article que j’ai choisi comme étant le plus intéressant de tous ceux qui furent publiés ce jour-là sur la même affaire -- que le juge d’instruction semblait mettre une certaine intention dans cette dernière phrase: il faudra bien croire au diable, comme dit le père Jacques.
L’article se termine sur ces lignes: ?nous avons voulu savoir ce que le père Jacques entendait par: ?le cri de la Bête du Bon Dieu?. On appelle ainsi le cri particulièrement sinistre, nous a expliqué le propriétaire de l’auberge du Donjon, que pousse, quelquefois, la nuit, le chat d’une vieille femme, la mère ?Agenoux?, comme on l’appelle dans le pays. La mère ?Agenoux ?est une sorte de sainte qui habite une cabane, au coeur de la forêt, non loin de la ?grotte de Sainte-Geneviève?.
?La ?Chambre Jaune?, la ?Bête du Bon Dieu?, la mère Agenoux, le diable, sainte Geneviève, le père Jacques, voilà un crime bien embrouillé, qu’un coup de pioche dans les murs nous débrouillera demain; espérons-le, du moins, pour la raison humaine, comme dit le juge d’instruction. En attendant, on croit que Mlle Stangerson, qui n’a cessé de délirer et qui ne prononce distinctement que ce mot: ?Assassin! Assassin! Assassin! ...? ne passera pas la nuit...?
Enfin, en dernière heure, le même journal annon?ait que le chef de la S?reté avait télégraphié au fameux inspecteur Frédéric Larsan, qui avait été envoyé à Londres pour une affaire de titres volés, de revenir immédiatement à Paris.

II Où appara?t pour la première fois Joseph Rouletabille
Je me souviens, comme si la chose s’était passée hier, de l’entrée du jeune Rouletabille, dans ma chambre, ce matin-là. Il était environ huit heures, et j’étais encore au lit, lisant l’article du matin, relatif au crime du Glandier.
Mais, avant toute autre chose, le moment est venu de vous présenter mon ami.
J’ai connu Joseph Rouletabille quand il était petit reporter. à cette époque, je débutais au barreau et j’avais souvent l’occasion de le rencontrer dans les couloirs des juges d’instruction, quand j’allais demander un ?permis de communiquer?pour Mazas ou pour Saint-Lazare. Il avait, comme on dit, ?une bonne balle?. Sa tête était ronde comme un boulet, et c’est à cause de cela, pensai-je, que ses camarades de la presse lui avaient donné ce surnom qui devait lui rester et qu’il devait illustrer.?Rouletabille!? _ As- tu vu Rouletabille? -- Tiens! Voilà ce ?sacré?Rouletabille!? Il était toujours rouge comme une tomate, tant?t gai comme un pinson, et tant?t sérieux comme un pape. Comment, si jeune -- il avait, quand je le vis pour la première fois, seize ans et demi -- gagnait-il déjà sa vie dans la presse? Voilà ce qu’on e?t pu se demander si tous ceux qui l’approchaient n’avaient été au courant de ses débuts. Lors de l’affaire de la femme coupée en morceaux de la rue Oberkampf -- encore une histoire bien oubliée -- il avait apporté au rédacteur en chef de _l’èpoque_, journal qui était alors en rivalité d’informations avec Le Matin, le pied gauche qui manquait dans le panier où furent découverts les lugubres débris. Ce pied gauche, la police le cherchait en vain depuis huit jours, et le jeune Rouletabille l’avait trouvé dans un égout où personne n’avait eu l’idée de l’y aller chercher. Il lui avait fallu, pour cela, s’engager dans une équipe d’égoutiers d’occasion que l’administration de la ville de Paris avait réquisitionnée à la suite des dégats causés par une exceptionnelle crue de la Seine.
Quand le rédacteur en chef fut en possession du précieux pied et qu’il eut compris par quelle suite d’intelligentes déductions un enfant avait été amené à le découvrir, il fut partagé entre l’admiration que lui causait tant d’astuce policière dans un cerveau de seize ans, et l’allégresse de pouvoir exhiber, à la ?morgue-vitrine?du journal, ?le pied gauche de la rue Oberkampf?.
?Avec ce pied, s’écria-t-il, je ferai un article de tête.?
Puis, quand il eut confié le sinistre colis au médecin légiste attaché à la rédaction de _L’époque_, il demanda à celui qui allait être bient?t Rouletabille ce qu’il voulait gagner pour faire partie, en qualité de petit reporter, du service des ?faits divers?.
?Deux cents francs par mois?, fit modestement le jeune homme, surpris jusqu’à la suffocation d’une pareille proposition.
?Vous en aurez deux cent cinquante, repartit le rédacteur en chef; seulement vous déclarerez à tout le monde que vous faites partie de la rédaction depuis un mois. Qu’il soit bien entendu que ce n’est pas vous qui avez découvert ?le pied gauche de la rue Oberkampf?, mais le journal _L’époque_. Ici, mon petit ami, l’individu n’est rien; le journal est tout!?
Sur quoi il pria le nouveau rédacteur de se
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