Le monsieur au parapluie | Page 6

Jules Moinaux
m'appelle Pistache.
--Pistache! et élève en pharmacie; il est difficile de réunir plus de titres à l'amour d'une jeune personne.
--Je le crois, monsieur.
--N'en doutez pas, elle vous aime.
--Vraiment?... oh! que vous me faites de plaisir! Mais vous voyez que je ne puis pas monter chez elle sans motif. Ah! si j'avais un motif!
--Vous en avez un.
--Ah!
--Excellent.
--Oh! dites vite.
--Le père est peintre, m'avez-vous dit.
--Peintre de portraits, oui, monsieur.
--Eh bien, faites-lui faire le v?tre; vous verrez Athalie tous les jours.
--Justement, j'avais l'idée de faire faire mon portrait... parce que j'avais vu un prospectus de peintre; ressemblance complète 40 francs.
--Et probablement, demi-ressemblance 25 francs, air de famille 12 francs?
--Ah! je ne sais pas; mais j'aime mieux payer plus cher et voir Athalie.
--Vous n'avez pas même à hésiter.
--Merci, monsieur, j'y vais tout de suite; oh! que je voudrais pouvoir vous dire comment ?a se sera passé.
--Ah! par exemple, voilà qui me ferait grand plaisir.
--Vraiment?
--Vous n'avez pas idée du plaisir que ?a me ferait.
--Eh bien, si vous voulez, je vous invite à d?ner... sans fa?on.
--Faites-en un peu tout de même, je ne suis pas fier; où nous trouverons-nous?
--Passage des Panoramas, à 7 heures.
--J'y serai.
Notre amoureux s'éloigna vivement; puis se retournant à l'entrée de l'escalier:
--Merci encore, monsieur.... Oh! que je suis heureux de vous avoir rencontré! Je vais faire faire mon portrait... à l'huile.
--C'est cela: à l'huile et au vinaigre; l'artiste y mettra même un cornichon.
Resté seul:--Quel bon mari ?a fera! dit Bengali.... Quand il sera marié, je cultiverai sa connaissance; puis, tout à coup:--Oh! la charmante enfant! fit-il.
Cette exclamation était motivée par l'entrée rapide d'une jeune fille, tenant d'une main ses jupons retroussés, et, de l'autre, un carton étroit et plat qu'elle cherchait à abriter de son mieux.--Impossible de faire un pas de plus! dit-elle, mes jupes me collent aux jambes.
Elle tourna sa tête en arrière pour vérifier leur état lamentable et elle les retroussa davantage pour protéger ses bas contre la boue dont elles les couvraient.
Bengali eut un mouvement d'admiration:
--La jolie jambe! fit-il; si je lui offrais mon bras? Puis voyant la belle fille retourner à la porte et regarder au loin:
--Comment, elle s'en va? et la pluie redouble!... C'est le cas de lui offrir....
Et il courut à elle:--Pardon, mademoiselle, fit-il. Croyant qu'il voulait sortir, la gentille réfugiée s'effa?a:--Passez, monsieur, dit-elle.
--Qui, moi, madame... ou mademoiselle, sortir d'un temps pareil, quand j'ai un abri et une aussi charmante compagne d'infortune! Que dis-je, d'infortune? pas pour moi; n'est-ce pas, au contraire, une véritable bonne fortune qui me tombe du ciel, avec la pluie?
--Pardon, monsieur, permettez! je guette un omnibus.
--Un omnibus dans l'espoir d'y trouver place à l'intérieur? Chassez cette illusion; ah! sur l'impériale, à volonté, comme disent les conducteurs facétieux; mais, d'ailleurs, les dames n'y montent pas.... Je le regrette, je vous aurais conduite jusqu'à ce véhicule, je vous aurais priée de monter la première; moi, je serais monté à votre suite.
--Merci, monsieur j'attendrai; ce n'est qu'un nuage qui passe.
--Un nuage qui passe! on en a vu qui passaient, comme cela, pendant six semaines, et si j'osais vous offrir.... Ouvrant alors son parapluie:--Il n'est pas neuf, dit-il, la soie fait penser à Jonas, elle aussi a été mangée par la baleine, mais ?a vaut mieux que rien.
A ce jeu de mots la jeune fille se mit à rire aux éclats, montrant de petites dents éblouissantes.
Georgette (c'est son nom) était une jolie blonde, un peu forte, comme la plupart des blondes, fra?che comme le printemps et riante comme la nature en fleurs.
--Oh! fit-elle, en se retirant vivement du seuil de la porte, de l'eau des gouttières qui est tombée sur mon carton; pourvu que mon éventail n'en ait pas re?u.
--Un éventail! de ce temps-là? dit Bengali surpris; comme en-cas, alors, en prévision du soleil.
--Oh! non, reprit Georgette, en riant de nouveau, je suis peintre sur éventails et je vais livrer celui qui est enfermé dans ce carton.
--Ah! madame est artiste... ou mademoiselle?
--Mademoiselle, si ?a vous est égal.
--Je le préfère... et monsieur votre père ou madame votre mère est artiste aussi?
--Je suis orpheline, monsieur.
--Et moi, orphelin, mademoiselle. Quoi pas le moindre parent? Seule, toute seule?
--Je n'ai qu'une marraine.
--Et moi qu'une tante, mademoiselle Piédevache, qui est aussi ma tutrice jusqu'à mes vingt-cinq ans et je n'en ai pas encore vingt-quatre.
--Piédevache! fit Georgette.
--Oui, une femme à barbe, qui se fait raser.
--Elle se fait raser! fit la jeune fille dans un éclat de rire.
--Tous les deux jours.
--J'ai connu des Piédevache, continue Georgette; ils étaient d'Orléans.
--Ah! non, ma tante n'est pas d'Orléans, répondit-il en riant, à la grande surprise de Georgette qui ne voyait rien de risible dans cette question de lieu de naissance.
Bengali ne lui donna aucune explication, mais il savait que la bonne tante n'était d'Orléans à aucun point de vue, qu'elle avait même été au mieux avec plusieurs Anglais extrêmement riches et généreux qui lui avaient laissé d'opulents souvenirs.
--Excellente femme,
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