Le meunier dAngibault | Page 9

George Sand
avait cinq pieds huit pouces de haut, taille remarquable dans un pays o�� les hommes sont g��n��ralement plus petits que grands. Il ��tait robuste �� proportion, bien fait, d��gag��, et d'une figure remarquable. Les filles de son endroit l'appelaient le beau farinier, et cette ��pith��te ��tait aussi bien m��rit��e que l'autre. Quand il essuyait du revers de sa manche la farine qui couvrait habituellement ses joues, il d��couvrait un teint brun et anim�� du plus beau ton. Ses traits ��taient r��guliers, largement taill��s comme ses membres, ses yeux noirs et bien fendus, ses dents ��blouissantes, et ses longs cheveux chatains ondul��s et cr��pus comme ceux d'un homme tr��s-fort, encadraient carr��ment un front large et bien rempli, qui annon?ait plus de finesse et de bon sens que d'id��al po��tique. Il ��tait v��tu d'une blouse gros-bleu et d'un pantalon de toile grise. Il portait peu de bas, de gros souliers ferr��s, et un lourd baton de cormier termin�� par un noeud de la branche qui en faisait une esp��ce de massue.
Il entra avec une assurance qu'on e?t pu prendre pour de l'effronterie, si la douceur de ses yeux d'un bleu clair, et le sourire de sa grande bouche vermeille n'eussent t��moign�� que la franchise, la bont��, et une sorte d'insouciance philosophique, faisaient le fond de son caract��re.
--Salut, Madame, dit-il en soulevant son chapeau de feutre gris �� grands bords, mais sans le d��tacher pr��cis��ment de sa t��te; car autant le vieux paysan est obs��quieux et dispos�� �� saluer tout ce qui est mieux habill�� que lui, autant celui qui date d'apr��s la R��volution est remarquable par l'adh��rence de son couvre-chef �� sa chevelure.--On me dit que vous voulez savoir de moi la route de Blanchemont?
La voix forte et sonore du grand farinier avait fait tressaillir Marcelle qui ne l'avait pas vu entrer. Elle se retourna vivement, un peu surprise d'abord de son aplomb. Mais tel est le privil��ge de la beaut��, qu'en s'examinant mutuellement, le jeune meunier et la jeune dame oubli��rent aussit?t cette sorte de m��fiance que la diff��rence des rangs inspire toujours au premier abord. Seulement Marcelle, le voyant dispos�� �� la familiarit��, crut devoir lui rappeler, par une grande politesse, les ��gards dus �� son sexe...
--Je vous remercie beaucoup de votre obligeance, lui dit-elle en le saluant, et je vous prie, Monsieur, de vouloir bien me dire s'il y a un chemin praticable pour les voitures d'ici �� la ferme de Blanchemont.
Le grand farinier, sans y ��tre invit��, avait d��j�� pris une chaise pour s'asseoir; mais en s'entendant appeler _monsieur_, il comprit avec la rare perspicacit�� dont il ��tait dou�� qu'il avait affaire �� une personne bienveillante et respectable par elle-m��me. Il ?ta tout doucement son chapeau sans se d��concerter, et appuyant ses mains sur le dossier de la chaise, comme pour se donner une contenance:
--Il y a un chemin vicinal, pas tr��s-doux, dit-il, mais o�� l'on ne verse pas quand on y prend garde; le tout c'est de le suivre et de n'en pas prendre un autre. J'expliquerai cela �� votre postillon. Mais le plus s?r serait de prendre ici une patache, car les derni��res pluies d'orage ont endommag�� plus que de raison la Vall��e-Noire, et je ne dis pas que les petites roues de votre voiture puissent sortir des orni��res. ?a se pourrait, mais je n'en r��ponds pas.
--Je vois que vos orni��res ne plaisantent pas, et qu'il sera prudent de suivre votre conseil. Vous ��tes s?r qu'avec une patache je ne verserai pas?
--Oh! n'ayez pas peur, Madame.
--Je n'ai pas peur pour moi, mais pour ce petit enfant. Voil�� ce qui me rend prudente.
--Le fait est que ce serait dommage d'��craser ce petit-l��, dit le grand farinier en s'approchant du jeune ��douard d'un air de bienveillance sinc��re. Comme c'est mignon et gentil, ce petit homme!
--C'est bien d��licat, n'est-ce pas? lui dit Marcelle en souriant.
--Ah dame! ?a n'est pas fort, mais c'est joli comme une fille. Vous allez donc venir dans le pays de chez nous, Monsieur?
--Tiens, ce grand-l��! s'��cria ��douard en s'accrochant au farinier qui s'��tait pench�� vers lui. Fais-moi donc toucher le plafond!
Le meunier prit l'enfant et, l'��levant au-dessus de sa t��te, le promena le long des corniches enfum��es de la salle.
--Prenez garde! dit madame de Blanchemont, un peu effray��e de l'aisance avec laquelle l'hercule rustique maniait son enfant.
--Oh! soyez tranquille, r��pondit le Grand-Louis; j'aimerais mieux casser tous les alochons de mon moulin, qu'un doigt �� ce monsieur.
Ce mot d'alochon r��jouit fort l'enfant, qui le r��p��ta en riant et sans le comprendre.
--Vous ne connaissez pas ?a? dit le meunier; ce sont les petites ailes, les morceaux de bois qui sont �� cheval sur la roue et que l'eau pousse pour la faire tourner. Je vous montrerai ?a si vous passez jamais par chez nous.
--Oui, oui, _alochon_! dit l'enfant en riant aux ��clats et en se renversant dans
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