Le meunier dAngibault | Page 6

George Sand
ann��es charmantes lui sont ch��res, quelque charg��es d'orages qu'elles soient. La tendre et courageuse Marcelle se disait que, sous le tonnerre et la gr��le, on peut sourire, �� l'abri du premier buisson, avec l'��tre qu'on aime. Cette lutte mena?ante des int��r��ts mat��riels lui paraissait donc un jeu. Qu'importe d'��tre ruin��, exil��, emprisonn��? se disait-elle, lorsque la terreur planait autour d'elle sur les pr��tendus heureux du si��cle. On ne d��portera jamais l'amour; et puis moi, grace au ciel, j'aime un homme de rien qui sera ��pargn��.
Seulement elle n'avait pas encore pens�� qu'elle p?t ��tre atteinte jusque dans ses affections, par cette lutte sourde et myst��rieuse qui s'accomplit en d��pit de toutes les contraintes officielles et de tous les d��couragements apparents. Cette lutte des sentiments et des id��es est d��s �� pr��sent profond��ment engag��e, et Marcelle s'y voyait pr��cipit��e tout �� coup au milieu de ses illusions comme au sortir d'un r��ve. La guerre intellectuelle et morale ��tait d��clar��e entre les diverses classes, imbues de croyances et de passions contraires, et Marcelle trouvait une sorte d'ennemi irr��conciliable dans l'homme qui l'adorait. ��pouvant��e d'abord de cette d��couverte, elle se familiarisa peu �� peu avec cette id��e, qui lui sugg��rait de nouveaux desseins plus g��n��reux et plus romanesques encore que ceux dont elle s'��tait nourrie depuis un mois, et au bout de sa longue promenade �� travers ses appartements silencieux et d��serts, elle trouva le calme d'une r��solution qu'elle seule peut-��tre pouvait envisager sans sourire d'admiration ou de piti��.
Ceci se passait tout r��cemment, peut-��tre l'ann��e Derni��re.

II.
VOYAGE.
Marcelle, ayant ��pous�� son cousin-germain, portait le nom de Blanchemont, apr��s comme avant son mariage. La terre et le chateau de Blanchemont formaient une partie de son patrimoine. La terre ��tait importante, mais le chateau, abandonn�� depuis plus de cent ans �� l'usage des fermiers, n'��tait m��me plus habit�� par eux, parce qu'il mena?ait ruine et qu'il e?t fallu de trop grandes d��penses pour le r��parer. Mademoiselle de Blanchemont, orpheline de bonne heure, ��lev��e �� Paris dans un couvent, mari��e fort jeune, et n'��tant pas initi��e par son mari �� la gestion de ses affaires, n'avait jamais vu ce domaine de ses anc��tres. R��solue de quitter Paris et d'aller chercher �� la campagne un genre de vie analogue aux projets qu'elle venait de former, elle voulut commencer son p��lerinage par visiter Blanchemont, afin de s'y fixer plus tard si cette r��sidence r��pondait �� ses desseins. Elle n'ignorait pas l'��tat de d��labrement de son castel, et c'��tait une raison pour qu'elle jetat de pr��f��rence les yeux sur cette demeure. Les embarras d'affaires que son mari lui avait laiss��s, et le d��sordre o�� lui-m��me paraissait avoir laiss�� les siennes, lui servirent de pr��texte pour entreprendre un voyage qu'elle annon?a devoir ��tre de quelques semaines seulement, mais auquel, dans sa pens��e secr��te, elle n'assignait pr��cis��ment ni but ni terme, son but v��ritable, �� elle, ��tant de quitter Paris et le genre de vie auquel elle y ��tait astreinte.
Heureusement pour ses vues, elle n'avait dans sa famille aucun personnage qui p?t s'imposer ais��ment le devoir de l'accompagner. Fille unique, elle n'avait pas �� se d��fendre de la protection d'une soeur ou d'un fr��re a?n��. Les parents de son mari ��taient fort ag��s, et, un peu effray��s des dettes du d��funt, qu'une sage administration pouvait seule liquider, ils furent �� la fois ��tonn��s et ravis de voir une femme de vingt-deux ans, qui jusqu'alors n'avait montr�� nulle aptitude et nul go?t pour les affaires, prendre la r��solution de g��rer les siennes elle-m��me et d'aller voir par ses yeux l'��tat de ses propri��t��s. Il y eut pourtant bien quelques objections pour ne pas la laisser ainsi partir seule avec son enfant. On voulait qu'elle se f?t accompagner par son homme d'affaires. On craignait que l'enfant ne souffrit d'un voyage entrepris par un temps tr��s-chaud. Marcelle objecta aux vieux Blanchemont, ses beau-p��re et belle-m��re, qu'un t��te �� t��te prolong�� avec un vieux homme de loi n'��tait pas pr��cis��ment un adoucissement aux ennuis qu'elle allait s'imposer; qu'elle trouverait chez les notaires et les avou��s de province des renseignements plus directs et des conseils mieux appropri��s aux localit��s; enfin, que ce n'��tait pas une chose si difficile que de compter avec des fermiers et de renouveler des baux. Quant �� l'enfant, l'air de Paris le rendait de plus eu plus d��bile. La campagne, le mouvement et le soleil ne pouvaient que lui faire grand bien. Puis, Marcelle, devenue tout �� coup adroite pour triompher des obstacles qu'elle avait pr��vus et m��dit��s durant sa veill��e rapport��e au pr��c��dent chapitre, fit valoir les obligations que lui imposait le r?le de tutrice de son fils. Elle ignorait encore en partie l'��tat de la succession de M. de Blanchemont; s'il s'��tait fait faire des avances consid��rables par ses fermiers, s'il n'avait pas donn�� de fortes hypoth��ques sur ses terres, etc. Son devoir
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