et qu'il pr?t le bon coffre, ce serait refuser d'accomplir les volontés de votre père, que de refuser sa main.
PORTIA.--De crainte que ce malheur extrême n'arrive, mets, je te prie, sur le coffre opposé un grand verre de vin du Rhin; car si le diable était dedans, et cette tentation au dehors, je suis s?re qu'il le choisirait. Je ferai tout au monde, Nérissa, plut?t que d'épouser une éponge.
NéRISSA.--Vous ne devez plus craindre d'avoir aucun de ces messieurs; ils m'ont fait part de leurs résolutions, c'est de s'en retourner chez eux, et de ne plus vous importuner de leur recherche, à moins qu'ils ne puissent vous obtenir par quelque autre moyen que celui qu'a imposé votre père, et qui dépend du choix des coffres.
PORTIA.--Dussé-je vivre aussi vieille que la Sibylle, je mourrai aussi chaste que Diane, à moins qu'on ne m'obtienne dans la forme prescrite par mon père. Je suis ravie que cette cargaison d'amoureux se montre si raisonnable; car il n'en est pas un parmi eux qui ne me fasse soupirer après son absence et prier Dieu de lui accorder un heureux départ.
NéRISSA.--Ne vous rappelez-vous pas, madame, que du vivant de votre père, il vint ici, à la suite du marquis de Montferrat, un Vénitien instruit et brave militaire?
PORTIA.--Oui, oui, c'était Bassanio; c'est ainsi, je crois, qu'on le nommait.
NéRISSA.--Cela est vrai, madame; et de tous les hommes sur qui se soient jamais arrêtés mes yeux peu capables d'en juger, il m'a paru le plus digne d'une belle femme.
PORTIA.--Je m'en souviens bien, et je me souviens aussi qu'il mérite tes éloges.--(Entre un valet.) Qu'est-ce? Quelles nouvelles?
LE VALET.--Les quatre étrangers vous cherchent, madame, pour prendre congé de vous, et il vient d'arriver un courrier qui en devance un cinquième, le prince de Maroc; il dit que le prince son ma?tre sera ici ce soir.
PORTIA.--Si je pouvais accueillir celui-ci d'aussi bon coeur que je vois partir les autres, je serais charmée de son arrivée. S'il se trouve avoir les qualités d'un saint et le teint d'un diable, je l'aimerais mieux pour confesseur que pour épouseur. Allons, Nérissa; et toi (au valet), marche devant. Tandis que nous mettons un amant dehors, un autre frappe à la porte.
(Ils sortent.)
SCèNE III
Venise.--Une place publique.
Entrent BASSANIO, SHYLOCK.
SHYLOCK.--Trois mille ducats?--Bien.
BASSANIO.--Oui, monsieur, pour trois mois.
SHYLOCK.--Pour trois mois?--Bien.
BASSANIO.--Pour lesquels, comme je vous disais, Antonio s'engagera.
SHYLOCK.--Antonio s'engagera?--Bien.
BASSANIO.--Pourrez-vous me rendre service? Me ferez-vous ce plaisir? Aurai-je votre réponse?
SHYLOCK.--Trois mille ducats, pour trois mois, et Antonio engagé.
BASSANIO.--Votre réponse à cela?
SHYLOCK.--Antonio est bon.
BASSANIO.--Auriez-vous ou? dire quelque chose de contraire?
SHYLOCK.--Oh! non, non, non, non. En disant qu'il est bon, je veux seulement vous faire comprendre qu'il est suffisamment s?r. Cependant ses ressources reposent sur des suppositions. Il a un vaisseau frété pour Tripoli, un autre dans les Indes, et en outre j'ai appris sur le Rialto qu'il en avait un troisième au Mexique, un quatrième en Angleterre, et d'autres entreprises encore de c?té et d'autre. Mais les vaisseaux ne sont que des planches, les matelots que des hommes. Il y a des rats de terre et des rats d'eau, et des voleurs d'eau comme des voleurs de terre, je veux dire qu'il y a des pirates; et puis aussi les dangers de la mer, les vents, les rochers. Néanmoins l'homme est suffisant.--Trois mille ducats... je crois pouvoir prendre son obligation.
BASSANIO.--Soyez assuré que vous le pouvez.
SHYLOCK.--Je m'assurerai que je le peux; et pour m'en assurer, j'y réfléchirai. Puis-je parler à Antonio?
BASSANIO.--Si vous vouliez d?ner avec nous?
SHYLOCK.--Oui, pour sentir le porc! pour manger de l'habitation dans laquelle votre prophète, le Nazaréen, a par ses conjurations fait entrer le diable! Je veux bien faire marché d'acheter avec vous, faire marché de vendre avec vous, parler avec vous, me promener avec vous, et ainsi de suite; mais je ne veux pas manger avec vous, ni boire avec vous, ni prier avec vous. Quelles nouvelles sur le Rialto?--Mais qui vient ici?
BASSANIO.--C'est le seigneur Antonio.
(Entre Antonio.)
SHYLOCK, à part.--Comme il a l'air d'un hypocrite publicain! je le hais parce qu'il est chrétien, mais je le hais bien davantage parce qu'il a la basse simplicité de prêter de l'argent gratis et qu'il fait baisser à Venise le taux de l'usance[3]. Si je puis une fois prendre ma belle[4], j'assouvirai pleinement la vieille aversion que je lui porte. Il hait notre sainte nation, et dans les lieux d'assemblées des marchands, il invective contre mes marchés, mes gains bien acquis, qu'il appelle intérêts. Maudite soit ma tribu si je lui pardonne!
[Note 3: Usance est un terme de banque; il signifie une échéance à trente jours de date, et l'intérêt produit par ces trente jours. Usance et usure s'employaient également pour désigner le prêt à intérêt, que réprouvaient les anciennes maximes des théologiens. Usure est demeuré le mot odieux employé pour signifier un intérêt excessif; et le mot usance a été préféré par les prêteurs pour
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