Le magasin dantiquités, Tome II | Page 3

Charles Dickens
conseil qu'en lançant à Kit avec
un air superbe et méprisant les mots de «jeune drôle,» et en lui
enjoignant de détaler et de revenir le plus tôt possible. Le «jeune drôle»
obéit. M. Chukster mit les mains dans ses poches, et affecta de n'avoir
pas l'air de prendre garde au poney, et de se trouver là seulement par
hasard.
Kit frotta ses souliers avec beaucoup de soin, car il n'avait pas perdu
encore son respect primitif pour les liasses de papiers et les cartons, et
il frappa à la porte de l'étude que le notaire en personne s'empressa
d'ouvrir.
«Ah! très-bien!... Entrez, Christophe, dit M. Witherden.
-- C'est là ce jeune homme? demanda un gentleman figé, mais encore
robuste et solide, qui était dans la chambre.
-- Lui-même, dit M. Witherden. C'est à ma porte qu'il a rencontré mon
client, M. Garland. J'ai lieu de croire que c'est un brave garçon, et que
vous pourrez ajouter foi à ses paroles. Permettez- moi de faire entrer M.
Abel Garland, monsieur, son jeune maître, mon élève en vertu du
contrat d'apprentissage, et, de plus, mon meilleur ami. Mon meilleur
ami, monsieur, répéta le notaire tirant son mouchoir de soie et l'étalant
dans tout son luxe devant son visage.
-- Votre serviteur, monsieur, dit l'étranger.
-- Je suis bien le vôtre, monsieur, dit M. Abel d'une voix flûtée. Vous
désirez parler à Christophe, monsieur?

-- En effet, je le désire. Le permettez-vous?
-- Parfaitement.
-- L'affaire qui m'amène n'est pas un secret, ou plutôt, je veux dire
qu'elle ne doit pas être un secret ici, ajouta l'étranger en remarquant que
M. Abel et le notaire se disposaient à s'éloigner. Elle concerne un
marchand d'antiquités chez qui travaillait ce garçon, et à qui je porte un
profond intérêt. Durant bien des années, messieurs, j'ai vécu hors de ce
pays, et, si je manque aux formes et aux usages, j'espère que vous
voudrez bien me le pardonner.
-- Vous n'avez pas besoin d'excuses, monsieur, dit le notaire.
-- Vous n'en avez nullement besoin, répéta M. Abel.
-- J'ai fait des recherches dans le voisinage de la maison qu'habitait son
ancien maître, et j'ai appris que le marchand avait eu ce garçon à son
service. Je me suis rendu chez sa mère, qui m'a adressé ici comme au
lieu le plus proche où je pourrais le trouver. Tel est le motif de la visite
que je vous fais ce matin.
-- Je me félicite, dit le notaire, du motif, quel qu'il soit, qui me vaut
l'honneur de votre visite.
-- Monsieur, répliqua l'étranger, vous parlez en homme du monde; mais
je vous estime mieux que cela. C'est pourquoi je vous prie de ne point
abaisser votre caractère par des compliments de pure forme.
-- Hum! grommela le notaire; vous parlez avec bien de la franchise,
monsieur.
-- Et j'agis de même, monsieur. Ma longue absence et mon
inexpérience m'amènent à cette conclusion: que, si la franchise en
paroles est rare dans cette partie du monde, la franchise en action y est
plus rare encore. Si mon langage vous choque, monsieur, j'espère que
ma conduite, quand vous me connaîtrez, me fera trouver grâce à vos
yeux.»

M. Witherden parut un peu déconcerté par la tournure que le vieux
gentleman donnait à la conversation. Quant à Kit, il regardait l'étranger
avec ébahissement et la bouche ouverte, se demandant quelle sorte de
discours il allait lui adresser à lui, lorsqu'il parlait si librement, si
franchement à un notaire. Ce fut cependant sans dureté, mais avec une
sorte de vivacité et d'irritabilité nerveuse que l'étranger, s'étant tourné
vers Kit, lui dit:
«Si vous pensez, mon garçon, que je poursuis ces recherches dans un
autre but que de trouver et de servir ceux que je désire rencontrer, vous
me faites injure, et vous vous faites illusion. Ne vous y trompez donc
pas, mais fiez-vous à moi. Le fait est, messieurs, ajouta l'étranger, se
tournant vers le notaire et son clerc, que je me trouve dans une position
pénible et inattendue. Je me vois tout à coup arrêté, paralysé dans
l'exécution de mes projets par un mystère que je ne puis pénétrer. Tous
les efforts que j'ai faits à cet égard n'ont servi qu'à le rendre plus obscur
et plus sombre; j'ose à peine travailler ouvertement à en poursuivre
l'explication, de peur que ceux que je recherche avec anxiété ne fuient
encore plus loin de moi. Je puis vous assurer que, si vous me prêtez
assistance, vous n'aurez pas lieu de le regretter, surtout si vous saviez
combien j'ai besoin de votre concours, et de quel poids il me
délivrerait.»
Dans cette confidence, il y avait un ton de simplicité qui provoqua une
prompte réponse du brave notaire. Il s'empressa de dire, avec non
moins de franchise, que l'étranger ne s'était pas trompé
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