ému, si transporté, que je n'avais trouvé d'autre parole que cette exclamation: ?Oh! madame!? qui n'était pas, comme tu le vois, bien compromettante.
Mareuil se mit à sourire.
--Comme vous êtes dr?les, vous, les amoureux! Vous pensez des choses!
Et l'air un peu supérieur, comme pris de pitié pour l'enthousiasme de son ami, qu'il considérait sans doute comme une faiblesse, il lan?a vers le ciel plusieurs bouffées de fumée.
--Madame de Frémilly, reprit Jacques de Brécourt, trouva sans doute l'expression de ma physionomie plus expressive que toutes les paroles que j'aurais pu dire pour tacher de dépeindre mon bonheur. Elle en parut satisfaite, car cela lui démontrait que l'amour que j'avais pour Laurence était profond, sincère.
Elle poursuivit:
--Non, vous ne lui êtes pas indifférent.
Mais elle s'empressa d'ajouter, comme pour corriger sa phrase, qu'elle trouvait encore sans doute trop expressive:
--Elle ne me l'a pas dit.... Mais j'ai cru m'en apercevoir, et c'est d'après mes observations que je parle.
--Oh! madame! m'écriai-je, puissiez-vous ne pas vous être trompée!
Elle sourit de mon exaltation.
Et elle ajouta finement:
--Franchement, je ne le crois pas.
C'était un aveu.
J'étais aimé! Laurence m'aimait! Et elle l'avait dit! Juge de mon bonheur, de mes transports. J'étais fou!
--Je m'en aper?ois, fit Mareuil, tu l'es encore.
--Hélas! c'est de douleur maintenant, fit le pauvre Jacques.
Et des larmes montèrent à ses yeux.
Il les refoula pour dire:
--Mais je continue.... Nous arriverons assez vite à la catastrophe, à la catastrophe inattendue, inou?e, qui a changé en deuil toutes mes joies, qui brise mon bonheur, mon avenir, ma vie!... Mais ce soir-là, je ne prévoyais pas un tel dénouement.. J'étais tout à mes espérances, à mes transports insensés.... J'attendais avec anxiété que madame de Frémilly s'expliquat ... me dit où elle en voulait venir, ce qu'elle avait résolu.
Elle ne me fit pas attendre longtemps.
--Vous savez, me dit-elle, combien j'aime ma petite-fille?
--Qui ne l'aimerait pas? m'écriai-je.
--Depuis qu'elle vit, poursuivit-elle, je n'ai pas eu d'autre pensée que son bonheur. Il ne m'était resté sur terre que cette affection, toutes les autres m'ayant été enlevées successivement par la mort impitoyable.... Je n'ai plus vécu que pour Laurence, qui représentait tout pour moi ici-bas.
--Je le sais, madame, dis-je, et je vous ai enviée bien des fois de pouvoir ainsi lui consacrer toutes les heures de votre vie.
--C'est vous dire, fit-elle, avec quelle appréhension je remettrai à d'autres mains le soin d'une félicité si précieuse.
--Oh! madame, m'écriai-je, personne ne la cultivera comme moi, cette félicité, que je serais si heureux de voir s'épanouir et grandir au soleil de mon amour!
--Je vous crois, me dit-elle.... Je crois que vous êtes sincère ... que vous aimez vraiment Laurence, et comme elle doit être aimée. Mais les hommes sont faibles.... L'amour peut endormir pour un temps leurs passions, qui reprennent ensuite, plus impérieuses et plus violentes.
--Je n'en ai plus d'autres au coeur, affirmai-je, que l'amour de Laurence.
--Pour le moment.
--Pour toujours!
--J'ai pris sur vous des renseignements....
Comme j'avais eu un geste involontaire, elle ajouta aussit?t:
--Non pas sur votre fortune.... La question d'argent ne me préoccupe guère.... Vous seriez pauvre, que je vous donnerais Laurence, si j'étais persuadée qu'elle trouverait près de vous le bonheur.... Mais sur votre passé....
--Oh! madame, fis-je, j'ai fait bien des folies....
--De grandes folies, dit-elle.
--Je ne connaissais pas Laurence.... J'y ai renoncé.
--Je le sais, me déclara-t-elle.... Depuis quelque temps votre conduite est assez exemplaire.... Sans cela, je ne vous aurais pas ouvert la porte de ma maison.
--Sans savoir, dis-je, si je plairais à mademoiselle de Frémilly, si je serais agréé par elle, j'avais rompu avec toutes mes connaissances, toutes mes amitiés, trouvant dans l'amour qui me possédait déjà assez de force pour résister à toutes les tentations, assez de joies pour remplacer toutes les autres.... Mais, depuis que j'ai été admis auprès d'elle, depuis que dans mon coeur s'est glissé l'espoir de lui plaire un jour, je me serais regardé comme le dernier des misérables, si je n'avais renoncé à tout ce qui avait été jusqu'ici un plaisir pour moi. Je n'avais plus qu'un plaisir: la voir.... Et il n'y avait plus pour moi qu'une lumière: celle qui tombait de ses yeux.
Madame de Frémilly approuva encore mes paroles et dit:
--Je vous crois.... Je crois à votre repentir.... Vous pouvez vous considérer, à partir de ce soir, comme le promis, le fiancé de Laurence.
--Ah! s'écria Jacques, quand j'entendis cette parole ... te dire ce que je ressentis ... c'est impossible.... J'étais comme foudroyé ... foudroyé de bonheur....
Le promis, le fiancé, moi ... et de Laurence!...
Je tombai à genoux.
Je saisis le bas de la robe de madame de Frémilly et je l'embrassai avec des transports insensés.
Mareuil se leva.
C'était trop pour lui.
Il jeta dans le feu son cigare qui venait de s'éteindre.
Et il dit:
--Toi, Brécourt?
--Moi, Brécourt.
--Franchement, je ne l'aurais jamais cru.
--Et pourquoi?
--Parce que je te croyais incapable....
--D'aimer?
--De pousser la folie....
--Où ne l'aurais-je pas poussée?... Le promis de Laurence! Son mari bient?t.... As-tu songé aux
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