ses joues.
Mais c'était le devoir.
Elle devait défendre avant tout l'avenir, le bonheur de sa petite-fille.
Elle ne lui révélerait rien, de peur de lui faire trop de peine, mais elle la
séparerait à jamais de ce misérable qui songeait déjà peut-être, avant
qu'elle fût sa femme, à la trahir et qui la trahirait sûrement le lendemain
de son mariage.
Ah! le passé! le passé!
Et la douairière plongea sa tête dans ses mains, s'abîmant dans le plus
sombre désespoir.
Elle avait tant prié! Elle avait pris tant de précautions pour que sa
petite-fille fût heureuse! Et voilà que les larmes déjà allaient
commencer pour elle; les déceptions, les trahisons, tous les chagrins qui
sont le lot ordinaire des femmes, dont madame de Frémilly avait tant
souffert pour elle-même et dont elle aurait tant voulu préserver celle
qu'elle aimait!
Laurence-Marie-Thérèse de Frémilly, car madame de Frémilly se
nommait Laurence, comme sa petite-fille, dont elle avait été la
marraine. Laurence-Marie-Thérèse de Frémilly avait été une des
victimes de l'amour, une des victimes, trop nombreuses, hélas, de la
duplicité et de l'infidélité des hommes.
Dernière descendante de la famille illustre des l'Oléron-Courlange,
jeune, belle, riche, elle s'était éprise, à seize ans, du baron
André-Constant de Frémilly--il s'appelait Constant!--un des beaux de la
cour de Louis-Philippe, blasé, ruiné, mais un des rois de l'élégance et
qui avait, à cheval, la plus fière tenue qu'eût jamais eue un
gentilhomme à éperon et à cravache.... Elle l'adora, l'épousa malgré
l'opposition de tous les siens, et fut délaissée, trahie pour une drôlesse
dont son mari était l'amant avant son mariage, huit jours après son
union, célébrée en grande pompe, où le roi s'était fait représenter et à
laquelle toute la cour avait assisté.... Elle passa dans les larmes, dans
les affres d'une torturante jalousie les plus belles années de sa jeunesse
et, si elle n'avait pas eu son fils, le baron Henri de Frémilly, auquel elle
consacra désormais son existence, peut-être eût-elle succombé au
chagrin et aux rages silencieuses qui la minaient.
Jamais elle ne devait oublier ces cruelles années passées près de cet
homme qu'elle aimait, malgré tout, qui n'avait pas l'air de savoir même
qu'elle existât et qui allait porter à d'autres des attentions et une ardeur
qu'elle aurait été si heureuse de voir réserver pour elle.
Le baron fut tué en duel--pour une autre!--et quand on le rapporta chez
elle, la poitrine trouée, prêt à rendre le dernier soupir, c'est le nom d'une
autre, d'une rivale, qu'elle recueilli, sur ses lèvres!
Elle vécut dès lors dans la solitude, toute à son fils, et refusa
obstinément, avec une sorte d'horreur, tous les prétendants qui se
présentèrent.
Elle avait aimé une fois. Elle avait été déçue. Elle ne voulait pas
recommencer une aussi cruelle expérience. Elle aurait voulu conserver
son fils dans ses idées, lui inspirer aussi la terreur du mariage, mais il
s'éprit tout jeune d'une jeune fille qu'il ne pouvait qu'épouser et il
supplia sa mère de lui accorder son consentement.
Elle ne résista pas à ses prières.... Et de cette union, qui fut heureuse,
mais courte, naquit Laurence. Puis le baron mourut, suivi de près dans
la tombe par sa jeune femme, et de nouveau madame de Frémilly resta
seule avec Laurence à élever.
Dès qu'elle vit celle-ci en âge de se marier, dès qu'elle s'aperçut qu'on
l'avait remarquée, et que bientôt peut-être on allait chercher à la lui
enlever, l'épouvante entra dans son âme.... Et quand Jacques de
Brécourt se fut déclaré et qu'elle eut appris quelle vie orageuse il avait
menée jusque-là, les plus vives appréhensions l'envahirent.
--C'est tout à fait le baron de Frémilly, pensa-t-elle.... Le sort de
Laurence va être semblable au mien.
Et elle s'efforça de préserver sa petite-fille des poursuites de M. de
Brécourt. Mais c'est en vain qu'on essaye de lutter contre l'amour.... On
n'y échappe pas plus, quand il doit s'abattre sur quelqu'un, qu'on
n'échappe au destin et à la foudre ... et bientôt la baronne fut obligée de
s'avouer que Laurence aimait.
Elle surveilla alors plus attentivement Jacques de Brécourt, se rassura
un peu en voyant combien sa passion était profonde et sincère, quels
changements elle avait apportés dans son existence jusque-là vouée au
désordre, et elle avait fini, en présence du chagrin qu'elle voyait envahir
sa petite-fille, et la ronger lentement, par ouvrir à Jacques de Brécourt
les portes de son hôtel.
Peu à peu, la douairière avait été gagnée par la bonne grâce, par la
loyauté de l'amoureux et elle commençait à lui rendre toute sa
confiance quand s'était produite la visite que nous avons racontée.
Alors, tout changea.... La grand'mère fut reprise de toutes ses craintes....
C'était son sort qui attendait la pauvre Laurence ... sa petite-fille adorée.
Jacques de Brécourt ne valait pas mieux que le baron de Frémilly, que
tous
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