compte de l'aspect de sa physionomie, qui était
régulière et belle ... d'expression peut-être un peu hautaine.
Le teint était d'une pâleur mate, les cheveux et les yeux très noirs.... Les
pieds et les mains avaient une distinction aristocratique. Tout en cet
homme dénotait la race.
Le chagrin terrible qu'il venait d'éprouver, et dont on voyait encore les
ondes passer sur sa chair et la faire frémir, comme la houle sur une mer
mal apaisée, ce chagrin, assurément terrible, avait imprimé à sa
physionomie un caractère encore plus sympathique et plus touchant. Il
y a une beauté particulière sur un visage qui souffre. On dirait qu'un
reflet de l'âme l'illumine.
Du même pas régulier, résolu, l'inconnu arriva rue du Bac, s'engagea
dans cette rue et la suivit jusqu'à la rue de Verneuil.
Là, il s'arrêta devant la porte d'une maison d'assez riche apparence,
mais vieille. Il appuya le doigt sur un bouton de cuivre. Une sonnerie
de timbre se fit entendre, et presque aussitôt la porte cochère s'ouvrit
avec un bruit sec. Il entra.
Une obscurité complète régnait sous la voûte, mais il connaissait les
êtres de la maison, car il se dirigea tout droit, sans tâtonnements,
jusqu'à la loge de la concierge.
Là, il frappa légèrement aux carreaux et dit son nom: M. de Brécourt, et
il demanda:
--M. Mareuil est-il chez lui?
--Oui, monsieur.
Il se dirigea vers l'escalier.
Dans le vestibule, il enflamma une allumette-bougie et il monta
jusqu'au deuxième étage où habitait M. Mareuil.
Il sonna avec force.
Pas un mouvement ne se produisit dans l'appartement.
Mareuil dormait sans doute ... et son domestique devait coucher au
sixième.
De Brécourt attendit quelques minutes.
Et il recommença à sonner....
Ce n'est qu'au troisième coup qu'un bruit de porte qu'on ouvre et de
pantoufles traînées sur le parquet, se fit entendre derrière la porte.
Et, presque aussitôt, une voix étonnée, encore tout engourdie de
sommeil, demanda, maussade:
--Qui est là?
--Brécourt.
--Brécourt?... à cette heure? s'exclama la voix.... Es-tu fou?... Qu'est-ce
qui te prend?
--J'ai besoin de te parler tout de suite.
--Entre ... mais que le diable t'emporte!
Et la porte livra passage à un gros corps enveloppé d'une robe de
chambre dans laquelle il grelottait, et surmonté d'une tête ahurie coiffée
d'un foulard moins cramoisi que son teint.
C'était M. Mareuil.
Il s'effaça pour laisser passer son ami tout en grommelant:
--En voilà une heure!... Je ne sais pas s'il y a encore du feu.... Tu dois
être gelé.... Qu'est-ce qui t'arrive?
Et il conduisit tout en parlant son ami vers sa chambre à coucher où il
espérait que le feu ne serait pas encore éteint.
De Brécourt ne parlait pas, n'expliquait rien ... mais de temps en temps
des soupirs profonds s'échappaient de sa poitrine.
Et quand il fut arrivé dans la chambre, sous la lueur de la lampe que
Mareuil avait allumée à la hâte, il apparut si livide, si bouleversé, avec
une telle apparence de souffrance sur la face, que son ami s'écria, tout
ému:
--Est-ce que tu es malade?
--Non.
--Qu'as-tu alors?
--Je suis mort.
--Mort?
--Mort au moral ... mort au physique ... anéanti ... Je vais ... je viens ...
je me meus.... J'ai l'air de vivre ... mais je ne vis pas.... Mon coeur est
mort ... tout est mort!...
Et il se laissa tomber, accablé, sur un canapé.
Mareuil le considérait avec un ahurissement qu'il ne cherchait pas à
dissimuler, un ahurissement où se mêlait aussi quelque pitié, car il était
bon.
--Il demanda:
--Qu'est-ce qui t'arrive?
--Tout est fini....
--Quoi?
--Mon mariage....
--Rompu?... Avec mademoiselle de Frémilly?
Incapable de formuler une parole, de Brécourt inclina la tête avec un tel
air d'accablement qu'on voyait bien que tout ressort en effet était brisé
en lui.
Mareuil s'écria:
--En voilà une nouvelle! Puis il dit:
--Et vous vous aimiez?
--Et nous nous aimons toujours ... comme des fous ... moi, du moins....
Elle, je ne sais plus.... Ah! mon pauvre ami!
Et Brécourt porta la main à son front, comme s'il avait craint qu'il
n'éclatât.
Mareuil ne parlait plus.
Il le contemplait ... plein maintenant d'une pitié sincère, et aussi un peu
surpris qu'un amour brisé pût produire chez un homme comme
Brécourt ... un homme qu'il croyait fort, un peu blasé, une telle douleur.
Brécourt reprit:
--Je l'aimais tant!... Je l'aime tant encore!... Je l'aimerai tant toujours!...
car il ne sortira pas de moi, cet amour. Il ne sortira pas de mon coeur,
de mon sang, de ma chair ... de tout moi!... Il est plus attaché à mon
corps que l'âme elle-même.... C'était mon souffle, ma vie! Et
maintenant qu'il n'est plus, je n'ai plus qu'à mourir. Mais comment
mourir?... J'ai songé au suicide ... avant de venir ici. Je me suis arrêté
sur un pont à regarder l'eau, et si
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