reprendre la parole. Son
regard ne se détachait point de Vaunoy.
--Je crois, dit-il enfin; je veux vous croire. Aussi bien, il n'est plus
temps d'hésiter; ma résolution est prise. Écoutez.
M. de La Tremlays s'assit auprès de Vaunoy et poursuivit:
--Je vais partir pour ne point revenir peut-être... ne m'interrompez pas...
Ma route sera longue, et au bout de la route je trouverai un abîme. La
Providence protège-t-elle encore le pays breton? Mon espoir est faible,
et ma ferme croyance est que je vais à la mort.
--À la mort? répéta Vaunoy sans comprendre.
--À la mort! s'écria le vieillard dont un soudain enthousiasme illumina
le visage; n'avez-vous jamais désiré mourir pour la Bretagne, vous
monsieur de Vaunoy?
--Saint-Dieu! mon cousin il est à croire que cette idée a pu me venir
une fois ou l'autre, répondit Hervé à tout hasard.
--Mourir pour la Bretagne! mourir pour une mère opprimée, monsieur,
n'est-ce pas là le devoir d'un gentilhomme et d'un Breton?
--Si fait, ah! Saint-Dieu, je crois bien! mais...
--Le temps presse, interrompit Nicolas Treml, et mon projet n'est point
d'entrer dans d'inutiles explications. Quand je ne serai plus là, Georges
aura besoin d'un appui.
--Je lui en servirai.
--D'un père...
--Ne vous dois-je pas la reconnaissance d'un fils? déclama
pathétiquement Vaunoy.
--Vous l'aimez bien, n'est-ce pas, Hervé, ce pauvre enfant que je vous
lègue? Vous lui apprendrez à aimer la Bretagne, à détester l'étranger.
Vous me remplacerez.
Vaunoy fit le geste d'essuyer une larme.
--Oui, reprit le vieillard en refoulant son émotion au-dedans de
lui-même, vous êtes bon et loyal, j'ai confiance en vous et ma dernière
heure sera tranquille.
Il se leva, traversa la salle d'un pas ferme et ouvrit un meuble scellé à
ses armes.
--Voici un acte olographe, continua-t-il, que j'ai rédigé cette nuit, et qui
vous confère la pleine propriété de tous les domaines de Treml.
Vaunoy sauta sur son siège. Ses yeux éblouis virent des millions
d'étincelles. Tout son sang se précipita vers sa joue. M. de La Tremlays,
occupé à déplier le parchemin, ne prit point garde à ce mouvement de
trop franche allégresse.
Il continua.
--Sans vous mettre dans mon secret, qui appartient à la Bretagne, je
puis vous dire que mon entreprise m'expose à une accusation de
lèse-majesté. Ce crime, car ils nomment cela un crime! entraîne non
seulement la mort, mais la confiscation de tous les biens de l'accusé. Il
faut que l'héritage de Georges Treml soit à l'abri de cette chance, et je
vous ai choisi pour dépositaire de la fortune de mon petit-fils.
Vaunoy n'eut point la force de répondre, tant sa cervelle était
bouleversée par cet événement inattendu. Il mit seulement la main sur
son coeur et darda au plafond son regard hypocrite.
--Acceptez-vous? demanda Nicolas Treml.
--Si j'accepte! s'écria Vaunoy retrouvant à propos la parole. Ah! mon
cousin, voici donc venue l'occasion de vous témoigner ma gratitude. Si
j'accepte! Saint-Dieu! vous me le demandez!
Il prit à deux mains celles du vieillard.
--Merci, merci, mon noble cousin! continua-t-il avec effusion; je prends
le ciel à témoin que votre confiance est bien placée!
Loup, le chien favori de M. de La Tremlays, interrompit à ce moment
Vaunoy par un grognement sourd et prolongé. Ensuite il quitta le
coussin où il avait passé la nuit et vint se placer entre son maître et
Hervé, sur lequel il fixa ses yeux fauves.
Vaunoy recula instinctivement.
--Loup et Jean Blanc! pensa le vieillard qui n'était pas pour rien breton
de bonne race et gardait au fond de son coeur cette corde qui vibre si
aisément dans les poitrines armoricaines, la superstition. C'est singulier!
le chien et l'innocent se rencontrent pour détester monsieur mon cousin!
Il hésita un instant, et fut tenté peut-être de serrer le parchemin, mais la
voix de ce qu'il appelait son devoir le poussait en avant. Il écarta du
pied Loup avec rudesse et remit l'acte entre les mains de Vaunoy.
--Dieu vous voit, dit-il, et Dieu punit les traîtres. Vous voici souverain
maître de la destinée de Treml.
Le chien, comme s'il eût compris ce que ces paroles avaient de solennel,
s'affaissa sur son coussin en hurlant plaintivement.
--Et maintenant, monsieur de Vaunoy, reprit Nicolas Treml, non par
défiance de vous, mais parce que tout homme est mortel et que vous
pourriez quitter ce monde sans avoir le temps de vous reconnaître, je
vous demande une garantie.
--Tout ce que vous voudrez mon cousin.
--Écrivez donc, dit le vieillard en lui désignant la table où l'attendaient
encore plume et parchemins.
Vaunoy s'assit, Treml dicta:
«Moi, Hervé de Vaunoy, je m'engage à remettre le domaine de La
Tremlays, celui de Bouëxis-en-Forêt et leurs dépendances à tout
descendant direct de Nicolas Treml qui me présentera cet écrit...»
--Monsieur mon cousin, interrompit Vaunoy, ceci pourrait donner des
armes au fisc. Si
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