Le loup blanc | Page 8

Paul H. C. Féval
Nicolas Treml que nous avons laissé méditant au chevet de
son petit-fils Georges.
Sans doute le sujet de ses réflexions le captivait bien puissamment; car
pendant de longues heures il demeura immobile et si profondément
absorbé qu'on eût pu le prendre pour l'un de ces vieillards de pierre qui
dorment autour des tombeaux.
L'horloge du château avait sonné minuit depuis longtemps lorsqu'il
secoua sa préoccupation.
Il se leva; son visage était sombre, mais résolu. Il saisit la lampe qui
brûlait auprès de lui et traversa doucement la salle, assourdissant le
sonore cliquetis de ses éperons pour ne point troubler le sommeil de
Georges.
--Vaunoy est incapable de me trahir, murmura-t-il; je le crois... sur mon
salut, je le crois! Mais la confiance n'exclut pas la prudence, et il n'y a
que Dieu pour sonder jusqu'au fond le coeur des hommes. Je veux
prendre mes précautions.
Le vent des nuits courait dans les longs corridors de La Tremlays.
Nicolas Treml, abritant de la main la flamme de la lampe, descendit le
grand escalier et se rendit à la salle d'armes où reposait Jude Leker, son
écuyer.
Il l'éveilla et lui fit signe de le suivre.
Jude obéit aussitôt en silence.
M. de La Tremlays remonta d'un pas rapide les escaliers du château,
traversa de nouveau les corridors et fit entrer Jude dans une petite pièce
de forme octogonale qu'il avait choisie pour sa retraite, au premier
étage d'une tourelle.

Lorsque Jude fut entré, M. de La Tremlays ferma la porte à clef.
L'honnête écuyer n'avait point coutume de provoquer la confiance de
son maître. Quand Nicolas Treml parlait Jude écoutait avec respect,
mais il ne faisait jamais de questions.
Cette fois, pourtant, la conduite du vieux seigneur était si étrange, sa
physionomie portait le cachet d'une résolution si solennelle, que
l'écuyer ne put réprimer sa curiosité.
--Vous n'avez pas votre figure de tous les jours, notre monsieur...
commença-t-il.
Nicolas Treml lui imposa silence d'un geste et fit jouer la serrure d'une
armoire scellée dans le mur.
De cette armoire, il tira un coffret de fer vide qu'il mit entre les mains
de Jude.
Ensuite, prenant, au fond d'un compartiment secret, de pleines poignées
d'or il les empila méthodiquement dans le coffret, comptant les pièces
une à une.
Cela dura longtemps, car il compta cent mille livres tournois.
Jude n'en pouvait croire ses yeux et se creusait la tête pour deviner le
motif de cette conduite extraordinaire.
Quand il y eut dans le coffret cent mille livres bien comptées, Nicolas
Treml le ferma d'un double cadenas.
--Demain, dit-il, presque à voix basse et calme, tu chargeras cette
cassette sur un cheval, sur ton meilleur cheval, et tu iras m'attendre,
avant le lever du soleil, à la Fosse-aux-Loups.
Jude s'inclina.
--Avant de partir, reprit M. de La Tremlays, tu prieras monsieur mon
cousin de Vaunoy de se rendre auprès de moi. Va!

Jude se dirigea vers la porte.
--Attends! poursuivit encore Nicolas Treml: tu t'habilleras comme on
fait lorsqu'on ne doit point revenir au logis de longtemps. Tu t'armeras
comme pour une bataille où il faut mourir. Tu diras adieu à ceux que tu
aimes. As-tu fait ton testament?
--Non, répondit Jude.
--Tu le feras, continua M. de La Tremlays.
Jude fit un signe d'obéissance et emporta la cassette.

III Le dépôt
Nicolas Treml ne dormit point cette nuit-là. Le lendemain, avant le jour,
il entendit dans la cour le pas du cheval de Jude. Presque au même
instant la porte de sa chambre s'ouvrit et Hervé de Vaunoy parut sur le
seuil. Maître Hervé n'avait plus cet air humble et craintif dont nous
l'avons vu s'affubler en entrant au château pour la première fois. Son
sourire s'épanouissait maintenant, joyeux, sur sa lèvre. Il portait le front
haut et affectait les dehors d'une franchise brusque, à peine tempérée
par le respect.
--Saint-Dieu! dit-il en arrivant, vous êtes matinal, monsieur mon très
cher cousin. J'étais encore à mon premier somme lorsqu'on est venu me
réveiller de votre part...
Il s'arrêta tout à coup en apercevant le sévère et pâle visage de Nicolas
Treml, dont l'oeil perçant tombait d'aplomb sur son oeil et semblait
vouloir descendre jusqu'au fond de sa conscience.
--Qu'y a-t-il? murmura-t-il avec un involontaire effroi.
Nicolas Treml lui montra du doigt un siège; il s'assit.
--Hervé, dit le vieux gentilhomme d'une voix lente et tristement

accentuée, quand Dieu m'a repris mon fils, vous étiez un pauvre
homme faible, vous souteniez une lutte inégale contre moi qui suis fort.
Vous alliez être écrasé...
--Vous avez été généreux, mon noble cousin, interrompit Vaunoy qui
se sentait venir une vague inquiétude.
--Serez-vous reconnaissant? reprit le vieillard.
Vaunoy se leva et lui saisit la main qu'il porta vivement à ses lèvres.
--Saint-Dieu! monsieur, s'écria-t-il, je suis à vous corps et âme!
Nicolas Treml fut quelque temps avant de
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