pendant qu'un
sourire relevait les coins de ses lèvres sous les crocs fauves de sa
moustache.
Hervé de Vaunoy pouvait avoir alors quarante ans. C'était un petit
homme replet, à chevelure roussâtre, dont les exubérants anneaux
encadraient un visage souriant et d'expression débonnaire. Ses yeux
disparaissaient presque sous les longs poils de ses sourcils; mais ce
qu'on en voyait était fort avenant et cadrait au mieux avec la fraîcheur
vermeille de ses joues.
En somme, il avait l'air du meilleur vivant qui fût au monde, et il était
impossible de le voir une seule fois sans se dire: voilà un excellent petit
homme!
La seconde fois, on ne disait rien du tout.
La troisième, on pensait à part soi que le petit homme pouvait bien
n'être point si bon qu'il voulait paraître.
Chemin faisant, il inspecta le manoir de Bouëxis, qu'il trouva très à son
gré, et les fermes, métairies et tenures, qui lui parurent bien en point, et
les bois dont il admira cordialement la belle venue. Pendant cela, son
sourire vainqueur ne le quittait point. On eût dit que le petit homme se
voyait déjà dans l'avenir propriétaire et seigneur de toutes ces belles
choses.
Mais ce qui le flatta le plus, ce fut le château de La Tremlays lui-même.
À la vue de ce cher édifice qui ouvrait sur une immense avenue sa
grande porte écussonnée, Hervé de Vaunoy arrêta son cheval de
charrette et ne put retenir un cri d'allégresse.
--Saint-Dieu! murmura-t-il tout ému, notre maison de Vaunoy tiendrait
avec ses étables, écuries et pigeonniers sous le portail de ce noble
château. Il faudrait que M. Nicolas Treml, mon cousin, eût l'âme bien
dure pour ne point me donner un gîte en quelque coin; et quand on a
pied dans quelque coin, talent et bonne volonté, tout le reste y passe!
Il souleva le lourd marteau de la porte et mit de côté son sourire pour
prendre un air humble et décemment réservé.
M. de La Tremlays était assis sous le manteau de la haute cheminée
dans la salle à manger. À son côté, un grand et beau chien de race
sommeillait indolemment. Dans un coin, le petit Georges, âgé de quatre
ans alors, jouait sur les genoux de sa nourrice. On annonça Hervé de
Vaunoy.
Le vieux seigneur se tourna lentement vers le nouveau venu et le chien,
se dressant sur ses quatre pattes, poussa un sourd grognement.
--Paix, Loup, dit M. de La Tremlays.
Le chien se recoucha sans quitter des yeux le seuil où Hervé se tenait
découvert et respectueusement incliné.
M. de La Tremlays continuait d'examiner ce dernier en silence.
Au bout de quelques minutes, il parut prendre tout à coup une
résolution et se leva.
--Approchez, monsieur mon cousin, dit-il avec une brusque courtoisie;
vous êtes le bienvenu au château de nos communs ancêtres.
Hervé ne put retenir un mouvement de joie en voyant sa parenté, à
laquelle il ne croyait guère lui-même, si tôt et si aisément reconnue. Sur
un geste du vieux seigneur, il prit place sous le manteau de la
cheminée.
L'entrevue fut courte et décisive.
--J'espère, monsieur de Vaunoy, dit Nicolas Treml, que vous êtes un
vrai Breton!
--Oui, Saint-Dieu! mon cousin, répondit Hervé, un vrai Breton, tout à
fait!
--Déterminé à donner sa vie pour le bien de la province?
--Sa vie et son sang, monsieur mon cousin de La Tremlays! ses os et sa
chair! Détestant la France, Saint-Dieu! abhorrant la France, monsieur
mon digne parent! prêt à dévorer la France d'un coup de dent si elle
n'avait qu'une bouchée!
--À la bonne heure! s'écria Nicolas Treml enchanté. Touchez-là,
Vaunoy, mon ami. Nous nous entendrons à merveille, et mon petit-fils
Georges aura un père en cas de malheur.
Hervé fut installé le soir même au château de La Tremlays, et, depuis
lors, il ne le quitta plus. Georges lui était spécialement confié, et nous
devons reconnaître qu'il affectait en toute occasion, pour l'enfant, une
tendresse extraordinaire.
Les choses restèrent ainsi durant dix-huit mois. M. de La Tremlays
prenait Hervé en confiance. Il le regardait comme un excellent et loyal
parent. Les commensaux du château faisaient comme le maître, et
Vaunoy avait l'estime de tout le monde.
Il n'y avait que deux personnages auprès desquels Vaunoy n'avait point
su trouver grâce: le premier et le plus considérable était Loup, le chien
favori de Nicolas Treml; le second n'était autre que Jean Blanc,
l'albinos.
Chaque fois que Vaunoy entrait au salon, Loup fixait sur lui ses rondes
prunelles et grognait dans ses soies jusqu'à ce que M. de La Tremlays
lui eût imposé péremptoirement silence. Vaunoy avait beau le flatter, il
perdait sa peine. Loup, en bon Breton qu'il était, avait la tête dure et ne
changeait point volontiers de sentiment.
M. de La Tremlays s'étonnait souvent de l'aversion que
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