Le loup blanc | Page 4

Paul H. C. Féval
chr��tien et un loyal gentilhomme.
Comme il pronon?ait mentalement ces paroles, une voix gr��le et lointaine lui apporta le refrain d'une chanson du pays, sorte de complainte dont l'air m��lancolique accompagnait le r��cit du tr��pas d'Arthur de Bretagne, m��chamment mis �� mort par son oncle Jean sans Terre.
M. de La Tremlays se sentit venir au coeur un pressentiment funeste en ��coutant cela.
--Impossible! murmura-t-il pourtant; M. de Vaunoy est un digne parent.
La voix se rapprochait, le chant semblait prendre une nuance d'ironie.
--D'ailleurs, poursuivit le vieux gentilhomme, mon petit Georges est breton; son bonheur, comme son sang appartient �� la Bretagne.
La voix se tut durant quelques secondes, puis elle ��clata tout �� coup juste au-dessus de M. de La Tremlays. Celui-ci leva brusquement la t��te et aper?ut, au haut d'un gigantesque chataignier dont la couronne, dominant les arbres d'alentour, ��tait vivement frapp��e par les rayons du soleil couchant, un ��tre d'apparence extraordinaire et presque diabolique. Son corps, ainsi ��clair��, rayonnait une sorte de lueur blafarde. Si un voyageur l'e?t rencontr�� dans les for��ts du Nouveau Monde il ne lui aurait certainement pas accord�� le nom d'homme, et l'histoire naturelle de M. de Buffon contiendrait un article de plus: le babouin blanc. Cette cr��ature ressemblait en effet �� un ��norme singe de couleur blanchatre, elle sautait d'une branche �� l'autre avec une agilit�� merveilleuse, et �� chaque saut, un faisceau de menus roseaux tombait �� terre.
Son chant continuait.
Il est �� croire que ce n'��tait pas la premi��re fois que M. de La Tremlays rencontrait ce personnage ��trange, car il arr��ta son cheval sans manifester la moindre surprise et siffla comme on fait pour appeler un chien.
Le chant cessa aussit?t, et la cr��ature perch��e au sommet du chataignier, d��gringolant de branche en branche, tomba aux pieds du vieux seigneur en poussant un grognement amical et respectueux.
C'��tait bien un homme, et pourtant il ��tait plus extraordinaire encore de pr��s que de loin. Ses jambes nues, couvertes de poils incolores, supportaient gauchement un torse difforme et de beaucoup trop court. Son cou, osseux et plant�� en biseau sur sa creuse poitrine, ��tait surmont�� d'une face anguleuse, aux os de laquelle se collait une peau bl��me et sem��e de duvet. Ses cheveux, ses sourcils, sa barbe naissante, tout ��tait blanc, et c'��tait merveille de voir reluire son oeil sanglant au milieu de ce laiteux entourage.
Aucun signe certain, dans toute sa personne, ne pouvait servir �� pr��ciser son age.
Peut-��tre ��tait-ce un enfant, peut-��tre ��tait-ce un vieillard.
L'extr��me agilit�� qu'il venait de d��ployer ��loignait ��galement n��anmoins ces deux suppositions.
Il fallait la pleine jeunesse pour concentrer tant de vigoureuse souplesse sous cette enveloppe ch��tive et mis��rable.
Il se releva d'un bond et vint se planter au milieu du chemin, devant la t��te du cheval.
--Comment va ton p��re, Jean Blanc? demanda M. de La Tremlays.
--Comment va ton fils, Nicolas Treml? r��pondit l'albinos en ex��cutant une cabriole.
Un nuage couvrit le front du vieillard. Cette brusque question correspondait myst��rieusement au sujet de sa r��verie.
--Tu deviens insolent, mon gar?on, grommela-t-il. Je suis trop bon envers vous autres vilains, et cela vous donne de l'audace. Fais-moi place, et que je ne t'y prenne plus!
Au lieu d'ob��ir �� cet ordre, prononc�� d'un ton s��v��re, Jean Blanc saisit la bride du cheval et se mit �� sourire tranquillement.
--Tu te trompes, monsieur Nicolas, dit-il d'une voix douce et triste. Ce n'est pas avec nous pauvres gens, que tu es trop bon, c'est avec d'autres que tu aimes et qui te d��testent.
--Paix! fou que tu es! voulut interrompre M. de La Tremlays.
L'albinos ne lacha point la bride et continua:
--Le p��re de Jean Blanc va bien. Jean Blanc veillait hier aupr��s de lui; aupr��s de lui il veillera demain. Hier tu veillais sur Georges Treml: veilleras-tu sur lui demain, monsieur Nicolas?
--Que veux-tu dire?
--C'est une belle chanson que la chanson d'Arthur de Bretagne... ��coute: je sais ramper sous le couvert, tout aussi bien que grimper au fa?te des chataigniers. Je t'ai suivi longtemps dans la for��t, tu causais avec ta conscience; j'ai compris, et j'ai chant�� la chanson d'Arthur.
--Quoi! s'��cria M. de La Tremlays, tu m'as entendu! tu sais tout!
--Non, pas tout. Tu as dit trop de folies pour que j'aie pu comprendre. Mais, crois-moi, ne laisse pas notre petit monsieur Georges �� la merci d'un cousin. Si tu veux t'en aller bien loin, prends ton petit-fils en croupe: si tu ne le peux pas, tue-le, mais ne l'abandonne pas. Et maintenant je vais couper des branches pour faire des cercles de barrique, monsieur Nicolas. Que Dieu te b��nisse!
L'albinos lacha la bride et grimpa comme un chat le long du tronc noueux d'un chataignier. La nuit commen?ait �� tomber. Le costume de cet ��tre bizarre, form�� de peaux d'agneaux et blanc comme sa personne, se distinguait �� travers les branches qu'il franchissait avec une indescriptible prestesse.
M. de La Tremlays se remit en route, tout
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