Le livre des masques | Page 8

Remy de Gourmont
jardin des ballades et des contes. Les chansons populaires ont laiss�� dans sa m��moire des refrains qu'il m��le �� de petits po��mes qui en sont le commentaire ou le r��ve:
O�� est la Marguerite,
O gu��, ? gu��,
O�� est la Marguerite?
Elle est dans son chateau, coeur las et fatigu��,?Elle est dans son hameau, coeur enfantile et gai,?Elle est dans son tombeau, semons-y du muguet,
O gu��, la Marguerite.
Et cela est presque aussi pur que les Cydalises de G��rard de Nerval,
O�� sont nos amoureuses??Elles sont au tombeau;?Elles sont plus heureuses?Dans un s��jour plus beau....
Et presque aussi innocemment cruel que cette ronde que chantent--et que dansent--les petites filles.
La beaut��, �� quoi sert-elle??Elle sert �� aller en terre,?��tre mang��e par les vers,?��tre mang��e par les vers....
M. Viel��-Griffin n'a us�� que discr��tement de la po��sie populaire--cette po��sie de si peu d'art qu'elle semble incr����e--mais il e?t ��t�� moins discret qu'il n'en e?t pas m��sus��, car il en a le sentiment et le respect. D'autres po��tes ont malheureusement ��t�� moins prudents et ils ont cueilli la rose-qui-parle avec de si maladroites ou de si grossi��res mains qu'on souhaiterait qu'un ��ternel silence e?t ��t�� conjur�� autour d'un tr��sor maintenant souill�� et vilipend��.
Comme la for��t, la mer enchante et enivre M. Viel��-Griffin; il l'a dite toute en ses premiers vers, cette d��j�� lointaine Cueille d'Avril, la mer d��voratrice, insatiable, gouffre et tombe, la mer sauvage �� la houle orgueilleuse et triomphale, la mer lascive aux voluptueuses vagues, la mer furieuse, la mer insoucieuse, la mer tenace et muette, la mer envieuse et qui se farde d'��toiles ou de soleils, d'aurores ou de minuits,--et le po��te lui reproche sa gloire vol��e:
Ne sens-tu pas en toi l'opulence de n'��tre?Que pour toi seule belle, ? Mer, et d'��tre toi?
puis il proclame sa fiert�� de n'avoir pas suivi l'exemple de la mer, de n'avoir pas demand�� la gloire �� d'heureuses r��miniscences, �� de hardis plagiats. Il faut reconna?tre que M. Viel��-Griffin, qui ne mentait d��j�� pas, s'est tenu parole depuis; il est bien demeur�� lui-m��me, vraiment libre, vraiment fier et vraiment farouche. Sa for��t n'est pas illimit��e, mais ce n'est pas une for��t banale, c'est un domaine.
Je ne parle pas de la part tr��s importante qu'il a eue dans la difficile conqu��te du vers libre;--mon impression est plus g��n��rale et plus profonde, et doit s'entendre non seulement de la forme, mais de l'essence de son art: il y a, par Francis Viel��-Griffin, quelque chose de nouveau dans la po��sie fran?aise.

ST��PHANE MALLARM��
Avec Verlaine, M. St��phane Mallarm�� est le po��te qui a eu l'influence la plus directe sur les po��tes d'aujourd'hui. Tous deux furent parnassiens et d'abord baudelairiens.
Per me si va tra la perduta gente.
Par eux on descend le long de la montagne triste jusqu'en la cit�� dolente des Fleurs du Mal. Toute la litt��rature actuelle et surtout celle que l'on appelle symboliste, est baudelairienne, non sans doute par la technique ext��rieure, mais par la technique interne et spirituelle, par le sens du myst��re; par le souci d'��couter ce que disent les choses, par le d��sir de correspondre, d'ame �� ame, avec l'obscure pens��e r��pandue dans la nuit du monde, selon ces vers si souvent dits et redits:
La nature est un temple o�� de vivants piliers?Laissent parfois sortir de confuses paroles;?L'homme y passe �� travers des for��ts de symboles?Qui l'observent avec des regards familiers.
Comme de longs ��chos qui de loin se confondent?Dans une t��n��breuse et profonde unit��,?Vaste comme la nuit et comme la clart��,?Les parfums, les couleurs et les sons se r��pondent.
Avant de mourir, Baudelaire avait lu les premiers vers de Mallarm��; il s'en inqui��ta; les po��tes n'aiment pas �� laisser derri��re eux un fr��re ou un fils; ils se voudraient seuls et que leur g��nie p��r?t avec leur cerveau. Mais M. Mallarm�� ne fut baudelairien que par filiation; son originalit�� si pr��cieuse s'affirma vite; ses Proses, son Apr��s-midi d'un Faune, ses Sonnets vinrent dire, �� de trop loins intervalles, la merveilleuse subtilit�� de son g��nie patient, d��daigneux, imp��rieusement doux. Ayant tu�� volontairement en lui la spontan��it�� de l'��tre impressionnable, les dons de l'artiste remplac��rent peu �� peu en lui les dons du po��te; il aima les mots pour leur sens possible plus que pour leur sens vrai et il les combina en des mosa?ques d'une simplicit�� raffin��e. On a bien dit de lui qu'il ��tait un auteur difficile, comme Perse ou Martial. Oui, et pareil �� l'homme d'Andersen qui tissait d'invisibles fils, M. Mallarm�� assemble des gemmes color��es par son r��ve et dont notre soin n'arrive pas toujours �� deviner l'��clat. Mais il serait absurde de
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