Le livre des masques | Page 7

Remy de Gourmont
Toutes ne sont pas nouvelles. M. Verhaeren pr��f��re, aux plus justes et aux plus belles m��taphores ant��rieures, celles qu'il cr��e lui-m��me, m��me maladroites, m��me informes; M. de R��gnier ne d��daigne pas les m��taphores ant��rieures, mais il les refa?onne et se les approprie en modifiant leur entourage, en leur imposant des voisinages nouveaux, des significations encore inconnues; si parmi ces images retravaill��es il s'en trouve quelqu'une de mati��re vierge, l'impression que donnera une telle po��sie n'en sera pas moins tout �� fait originale. En oeuvrant ainsi, on ��chappe au bizarre et �� l'obscur; le lecteur n'est pas brusquement jet�� dans une for��t d��dalienne; il retrouve son chemin, et sa joie de cueillir des fleurs nouvelles se double de la joie de cueillir des fleurs famili��res.
Le temps triste a fleuri ses heures en fleurs mortes,?L'An qui passe a jauni ses jours en feuilles s��ches.?L'Aube pale s'est vue �� des eaux mornes?Et les faces du soir ont saign�� sous les fl��ches?Du vent myst��rieux qui rit et qui sanglote.
Une telle po��sie a certainement de l'allure.
M. de R��gnier sait dire en vers tout ce qu'il veut, sa subtilit�� est infinie; il note d'ind��finissables nuances de r��ve, d'imperceptibles apparitions, de fugitifs d��cors; une main nue qui s'appuie un peu crisp��e sur une table de marbre, un fruit qui oscille sous le vent et qui tombe, un ��tang abandonn��, ces riens lui suffisent et le po��me surgit, parfait et pur. Son vers est tr��s ��vocateur; en quelques syllabes, il nous impose sa vision.
Je sais de tristes eaux en qui meurent les soirs;?Des fleurs que nul n'y cueille y tombent une �� une....
Encore tr��s diff��rent en cela de Verhaeren, il est ma?tre absolu de sa langue; que ses po��mes soient le r��sultat d'un long ou d'un bref travail, ils ne portent nulle marque d'effort, et ce n'est pas sans ��tonnement, ni m��me sans admiration, que l'on suit la noble et droite chevauch��e de ces belles strophes, haquen��es blanches harnach��es d'or qui s'enfoncent dans la gloire des soirs.
Riche et subtile, la po��sie de M. de R��gnier n'est jamais purement lyrique; il enferme une id��e dans le cercle enguirland�� de ses m��taphores, et si vague ou si g��n��rale que soit cette id��e, cela suffit �� consolider le collier; les perles sont retenues par un fil, parfois invisible, mais toujours solide; ainsi, ces quelques vers:
L'Aube fut si pale hier?Sur les doux pr��s et sur les pr��les,?Qu'au matin clair?Un enfant vint parmi les herbes.?Penchant sur elles?Ses mains pures qui y cueillaient des asphod��les.
Midi fut lourd d'orage et morne de soleil?Au jardin mort de gloire en son sommeil?L��thargique de fleurs et d'arbres,?L'eau ��tait dure �� l'oeil comme du marbre,?Le marbre ti��de et clair comme de l'eau,?Et l'enfant qui vint ��tait beau,?V��cu de pourpre et laur�� d'or,?Et longtemps on voyait de tige en tige encore,?Une �� une, saigner les pivoines leur sang?De p��tales au passage du bel Enfant.
L'Enfant qui vint ce soir ��tait nu,?Il cueillait des roses dans l'ombre,?Il sanglotait d'��tre venu,?Il reculait devant son ombre,?C'est en lui nu?Que mon Destin s'est reconnu.
Simple ��pisode d'un plus long po��me, lui-m��me fragment d'un livre, ce petit triptyque a plusieurs significations et dit des choses diff��rentes
selon qu'on le laisse �� sa place ou qu'on l'isole: ici, image d'un destin particulier; l��, image g��n��rale de la vie. Qu'on y voie encore un exemple de vers libres vraiment parfaits et mani��s par un ma?tre.

FRANCIS VIEL��-GRIFFIN
Je ne veux pas dire que M. Viel��-Griffin soit un po��te joyeux; pourtant, il est le po��te de la joie. Avec lui, on participe aux plaisirs d'une vie normale et simple, aux d��sirs de la paix, �� la certitude de la beaut��, �� l'invincible jeunesse de la Nature. Il n'est ni violent, ni somptueux, ni doux: il est calme. Bien que tr��s subjectif, ou �� cause de cela, car penser �� soi, c'est penser �� soi tout entier, il est religieux. Comme Emerson, il doit voir dans la nature ?les images de la plus ancienne religion? et songer, encore comme Emerson: ?Il semble qu'une journ��e, n'a pas ��t�� tout enti��re profane, o�� quelque! attention a ��t�� donn��e aux choses de la nature.?
Un par un, il conna?t et il aime les ��l��ments de la for��t, depuis les ?grands doux fr��nes? jusqu'au ?jeune million des herbes?, et c'est bien sa for��t, sa personnelle et originale for��t:
Sous ma for��t de Mai fleure tout ch��vrefeuille.?Le soleil goutte en or par l'ombre grasse,?Un chevreuil bruit dans les feuilles qu'il cueille,?La brise en la frise des bouleaux passe,?De feuille en feuille;
Par ma plaine de mai toute herbe s'argente,?Le soleil y luit comme au jeu des ��p��es,?Une abeille vibre aux muguets de la sente?Des hautes fleurs vers le ru group��es.?La brise en la frise des fr��nes chante....
Mais il conna?t d'autres fleurs que celles dont les clairi��res sont coutumi��res; il conna?t la fleur-qui-chante, celle qui chante, lavande, marjolaine ou f��e, dans le vieux
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