supposer qu'il est incompréhensible; le jeu de citer tels vers, obscurs par leur isolement, n'est pas loyal, car, même fragmentée, la poésie de M. Mallarmé, quand elle est belle, le demeure incomparablement, et si en un livre rongé, plus tard, on ne trouvait que ces débris:
La chair est triste, hélas! et j'ai lu tous les livres. Fuir! là-bas fuir! Je sens que des oiseaux sont ivres?D'être parmi l'écume inconnue et les cieux....
Un automne jonché de taches de rousseur....?Et tu fis la blancheur sanglotante des lys....?Je t'apporte l'enfant d'une nuit d'Idumée....?Tout son col secouera cette blanche agonie....
il faudrait bien les attribuer à un poète qui fut artiste au degré absolu. Oh! ce sonnet du cygne (dont le dernier vers cité est le neuvième) où tous les mots sont blancs comme de la neige!
Mais on a écrit tout le possible sur ce poète très aimé et providentiel. Je conclus par cette glose.
Récemment une question fut posée ainsi, à peu près:
?Qui, dans l'admiration des jeunes poètes, remplacera Verlaine, lequel avait remplacé Leconte de Lisle??
Peu des questionnés répondirent; il y eut deux tiers d'abstentions motivées par la tournure saugrenue d'un tel ultimatum. Comment peut-il se faire, en effet, qu'un jeune poète admire ?exclusivement et successivement? trois ?ma?tres? aussi divers que ces deux-là et M. Mallarmé,--incontestable élu? Donc, par scrupule, beaucoup se turent,--mais je vote ici, disant: Aimant et admirant beaucoup Stéphane Mallarmé, je ne vois pas que la mort de Verlaine me soit une occasion décente d'aimer et d'admirer aujourd'hui plus haut qu'hier.
Pourtant, puisque c'est un devoir strict de toujours sacrifier le mort au vivant et de donner au vivant, par un surcro?t de gloire, un surcro?t d'énergie, le résultat de ce vote me pla?t,--et nous aurions peut-être d?, nous qui nous sommes tus, parler. Si trop d'abstentions avaient faussé la vérité, quel dommage! Car, informée par un papier circulaire, la Presse a trouvé en cette nouvelle un motif de plus à se rire et a nous plaindre, tant que, ballotté sur les flots d'encre de la mer des ténèbres intellectuelles, mais vainqueur des naufrageurs, le nom de Mallarmé, enfin écrit sur l'ironique élégance d'un c?tre de course, vogue et maintenant nargue la vague et l'écume douce-amère de la blague.
ALBERT SAMAIN
Quand elles savent par coeur ce qu'il y a de pur dans Verlaine, les jeunes femmes d'aujourd'hui et de demain s'en vont rêver Au Jardin de l'Infante. Avec tout ce qu'il doit à l'auteur des Fêtes Galantes (il lui doit moins qu'on ne pourrait croire), Albert Samain est l'un des poètes les plus originaux et le plus charmant, et le plus délicat et le plus suave des poètes:
En robe héliotrope, et sa pensée aux doigts,?Le rêve passe, la ceinture dénouée,?Fr?lant les ames de sa tra?ne de nuée,?Au rythme éteint d'une musique d'autrefois....
Il faut lire tout ce petit poème qui commence ainsi:
Dans la lente douceur d'un soir des derniers jours....
C'est pur et beau, autant que n'importe quel poème de langue fran?aise, et l'art en a la simplicité des oeuvres profondément senties et longuement pensées. Vers libres, poétique nouvelle! Voici des vers qui nous font comprendre la vanité des prosodistes et la maladresse des trop habiles joueurs de cithare. Il y a là une ame.
La sincérité de M. Samain est admirable; je crois qu'il aurait honte à des variations sur des sensations inexplorées par son expérience. Sincérité ne veut pas dire candeur, ici; ni simplicité ne veut dire gaucherie. Il est sincère, non parce qu'il avoue toute sa pensée, mais parce qu'il pense tout son aveu; et il est simple parce qu'il a étudié son art jusqu'en ses derniers secrets et que de ces secrets il se sert sans effort avec une inconsciente ma?trise:
Les roses du couchant s'effeuillent sur le fleuve;?Et, dans l'émotion pale du soir tombant,?S'évoque un parc d'automne où rêve sur un banc?Ma jeunesse déjà grave comme une veuve....
Cela, c'est, il semble, d'un Vigny attendri et consentant à l'humilité d'une mélancolie toute simple et déshabillée des grandes écharpes.
Il n'est pas seulement attendri; il est tendre, et que de passion, et que de sensualité, mais si délicate!
Tu marchais chaste dans la robe de ton ame,?Que le désir suivait comme un faune dompté,?Je respirais parmi le soir, ? pureté,?Mon rêve enveloppé dans tes voiles de femme.
Sensualité délicate, c'est bien l'impression que donneraient ses vers s'il les avait tous conformés à sa poétique, où il rêve
De vers blonds où le sens fluide se délie?Comme sous l'eau la chevelure d'Ophélie,
De vers silencieux, et sans rythme et sans trame,?Où la rime sans bruit glisse comme une rame,
De vers d'une ancienne étoffe exténuée,?Impalpable comme le son et la nuée,
De vers de soirs d'automne ensorcelant les heures?Au rite féminin des syllabes mineures,
De vers de soirs d'amours énervés de verveine,?Où l'ame sente, exquise, une caresse à peine....
Mais, ce poète qui n'aimerait que la nuance, la nuance verlainienne, a pu, certains jours, être
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