d'art soit nouvelle, et on la reconna?t nouvelle tout simplement à ceci qu'elle vous donne une sensation non encore éprouvée.
Si elle ne donne pas cela, une oeuvre, quelque parfaite qu'on la juge, est tout ce qu'il y a de pire et de méprisable; elle est inutile et laide, puisque rien n'est plus absolument utile que la beauté. Chez M. Verhaeren, la beauté est faite de nouveauté et de puissance; ce poète est un fort et, depuis ces Villes tentaculaires qui viennent de surgir avec la violence d'un soulèvement tellurique, nul n'oserait lui contester l'état et la gloire d'un grand poète. Peut-être n'a-t-il pas encore achevé tout à fait l'instrument magique qu'il forge depuis vingt ans. Peut-être n'est-il pas encore tout à fait ma?tre de sa langue; il est inégal; il laisse ses plus belles pages s'alourdir d'épithètes inopportunes, et ses plus beaux poèmes s'empêtrer dans ce qu'on appelait jadis le prosa?sme. Pourtant l'impression reste, de puissance et de grandeur, et oui: c'est un grand poète. écoutez ce fragment des Cathédrales:
--O ces foules, ces foules?Et la misère et la détresse qui les foulent?Comme des houles!
Les ostensoirs, ornés de soie,?Vers les villes échafaudées,?En toits de verre et de cristal,?Du haut du choeur sacerdotal.?Tendent la croix des gothiques idées.
Ils s'imposent dans l'or des clairs dimanches?--Toussaint, No?l, Paques et Pentec?tes blanches.?Ils s'imposent dans l'or et dans l'encens et dans la fête Du grand orgue battant du vol de ses tempêtes
Les chapiteaux rouges et les vo?tes vermeilles;?Ils sont une ame, en du soleil,?Qui vit de vieux décor et d'antique mystère?Autoritaire.
Pourtant, dès que s'éteignent le cantique?Et l'antienne na?ve et prismatique,?Un deuil d'encens évaporé s'empreint?Sur les trépieds d'argent et les autels d'airain;
Et les vitraux, grands de siècles agenouillés?Devant le Christ, avec leurs papes immobiles?Et leurs martyrs et leurs héros, semblent trembler?Au bruit d'un train hautain qui passe sur la ville.
M. Verhaeren para?t un fils direct de Victor Hugo, surtout en ses premières oeuvres; même après son évolution vers une poésie plus librement fiévreuse, il est encore resté romantique; appliqué à son génie, ce mot garde toute sa splendeur et toute son éloquence. Voici, pour expliquer cela, quatre strophes évoquant les temps de jadis:
Jadis--c'était la vie errante et somnambule,?A travers les matins et les soirs fabuleux,?Quand la droite de Dieu vers les Chanaans bleus?Tra?ait la route d'or au fond des crépuscules.
Jadis--c'était la vie énorme, exaspérée,?Sauvagement pendue aux crins des étalons,?Soudaine, avec de grands éclairs à ses talons?Et vers l'espace immense immensément cabrée.
Jadis--c'était la vie ardente, évocatoire;?La Croix blanche de ciel, la Croix rouge d'enfer?Marchaient, à la clarté des armures de fer,?Chacune à travers sang, vers son ciel de victoire.
Jadis--c'était la vie écumante et livide,?Vécue et morte, à coups de crime et de tocsins,?Bataille entre eux, de proscripteurs et d'assassins,?Avec, au-dessus d'eux, la mort folle et splendide.
Ces vers sont tirés des Villages illusoires, écrits presque uniquement en vers libres assonances et coupés selon un rythme haletant, mais M. Verhaeren, ma?tre du vers libre, l'est aussi du vers romantique, auquel il sait imposer, sans le briser, l'effréné, le terrible galop de sa pensée, ivre d'images, de fant?mes et de visions futures.
HENRI DE RéGNIER
Celui-là vit en un vieux palais d'Italie où des emblèmes et des figures sont écrits sur les murs. Il songe, passant de salle en salle, il descend l'escalier de marbre vers le soir, et s'en va dans les jardins, dalles comme des cours, rêver sa vie parmi les bassins et les vasques, cependant que les cygnes noirs s'inquiètent de leur nid et qu'un paon, seul comme un roi, semble boire superbement l'orgueil mourant d'un crépuscule d'or. M. de Régnier est un poète mélancolique et somptueux: les deux mots qui éclatent le plus souvent dans ses vers sont les mots or et mort, et il est des poèmes où revient jusqu'à faire peur l'insistance de cette rime automnale et royale. Dans le recueil de ses dernières oeuvres on compterait sans doute plus de cinquante vers ainsi finis: oiseaux d'or, cygnes d'or, vasques d'or, fleur d'or, et lac mort, jour mort, rêve mort, automne mort. C'est une obsession très curieuse et symptomatique, non pas et bien au contraire d'une possible indigence verbale, mais d'un amour avoué pour une couleur particulièrement riche et d'une richesse triste comme celle d'un coucher de soleil, richesse qui va devenir nocturne.
Des mots s'imposent à lui quand il veut peindre ses impressions et la couleur de ses songes; des mots s'imposent aussi à qui veut le définir et d'abord celui-ci, déjà écrit mais qui rena?t, invincible: richesse. M. de Régnier est le poète riche par excellence,--riche d'images! Il en a plein des coffres, plein des caves, plein des souterrains, et incessamment une file d'esclaves lui en apporte d'opulentes corbeilles qu'il vide, dédaigneux, sur les marches éblouies de ses escaliers de marbre, cascades versicolores qui s'en vont bouillonnantes, puis paisibles, former des étangs et des lacs irradiés.
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