et les murmures sourds de la vie profonde. Ils apprendraient la signification des gestes très humbles et des mots très futiles, et que le rire d'un enfant ou le babillage d'une femme équivalent par ce qu'ils contiennent d'ame et de mystère aux plus éblouissantes paroles des Sages. Car M. Maeterlinck, avec son air d'être un Sage, et bien sage, nous confie des pensées inhabituelles et d'une candeur bien irrespectueuse de la tradition psychologique, et d'une audace bien dédaigneuse des habitudes mentales, assumant la bravoure de n'attribuer aux choses que l'importance qu'elles auraient dans un monde définitif. Ainsi la sensualité est tout à fait absente de ses méditations; il conna?t l'importance mais aussi l'insignifiance des mouvements du sang et des nerfs, orages qui précèdent ou suivent, mais n'accompagnent jamais la pensée; et s'il parle de femmes qui sont autre chose qu'une ame, c'est pour s'enquérir ?du sel mystérieux qui conserve à jamais le souvenir de la rencontre de deux bouches?.
De poèmes ou de philosophies, la littérature de M. Maeterlinck vient à une heure où nous avons le plus besoin d'être surélevés et fortifiés, à une heure où il n'est pas indifférent qu'on nous dise que le but suprême de la vie c'est ?de tenir ouvertes les grandes routes qui mènent de ce qu'on voit à ce qu'on ne voit pas?. M. Maeterlinck n'a pas seulement tenu ouvertes les grandes routes frayées par tant d'ames de bonne volonté et où de grands esprits ?à et là ouvrent leurs bras comme des oasis,--il semble bien qu'il ait augmenté vers l'infini la profondeur de ces grandes routes: il a dit ?des mots si spécieux tout bas? que les ronces se sont écartées toutes seules, que des arbres se sont émondés spontanément et qu'un pas de plus est possible et que le regard va aujourd'hui plus loin qu'hier.
D'autres ont sans doute ou eurent une langue plus riche, une imagination plus féconde, un don plus net de l'observation, plus de fantaisie, des facultés plus aptes à claironner les musiques du verbe,--soit, mais avec une langue timide et pauvre, d'enfantines combinaisons dramatiques, un système presque énervant de répétition phraséologique, avec ces maladresses, avec toutes les maladresses, Maurice Maeterlinck oeuvre des livres et des livrets d'une originalité certaine, d'une nouveauté si vraiment neuve qu'elle déconcertera longtemps encore le lamentable troupeau des misonéistes, le peuple de ceux qui pardonnent une hardiesse, s'il y a un précédent,--comme dans le protocole --mais qui regardent en défiance le génie, qui est la hardiesse perpétuelle.
EMILE VERHAEREN
De tous les poètes d'aujourd'hui, narcisses penchés le long de la rivière, M. Verhaeren est le moins complaisant à se laisser admirer. Il est rude, violent, maladroit. Occupé depuis vingt ans à forger un outil étrange et magique, il demeure dans une caverne de la montagne, martelant les fers rougis, radieux des reflets du feu, auréolé d'étincelles. C'est ainsi que l'on devrait le représenter, forgeron qui,
Comme s'il travaillait l'acier des ames,?Martèle à grands coups pleins, les lames?Immenses de la patience et du silence.
Si on découvre sa demeure et qu'on l'interroge, il répond par une parabole dont chaque mot semble scandé sur l'enclume, et, pour conclure, il donne un grand coup du marteau lourd.
Quand il ne travaille pas dans sa forge, il s'en va par les campagnes, la tête et les bras nus, et les campagnes flamandes lui disent des secrets qu'elles n'ont encore dit à personne. Il voit des choses miraculeuses et n'en est pas étonné; devant lui passent des êtres singuliers, des êtres que tout le monde coudoie sans le savoir, visibles pour lui seul. Il a rencontré le Vent de novembre:
Le vent sauvage de novembre,
Le vent,?L'avez-vous rencontré, le vent?Au carrefour des trois cents routes...?
Il a vu la Mort et plus d'une fois; il a vu la Peur; il a vu le Silence
S'asseoir immensément du c?té de la nuit.
Le mot caractéristique de la poésie de M. Verhaeren, c'est le mot halluciné. De page en page, ce mot surgit; un recueil tout entier, les Campagnes hallucinées, ne l'a pas délivré de cette obsession; l'exorcisme n'était pas possible, car c'est la nature et l'essence même de M. Verhaeren d'être le poète halluciné. ?Les sensations, disait Taine, sont des hallucinations vraies?, mais où commence la vérité et où finit-elle? Qui oserait la circonscrire? Le poète, qui n'a pas de scrupules psychologiques, ne s'attarde pas au soin de partager les hallucinations en vraies et en fausses; pour lui, elles sont toutes vraies, si elles sont aigu?s ou fortes, et il les raconte avec ingénuité,--et quand le récit est fait par M. Verhaeren, il est très beau. La beauté en art est un résultat relatif et qui s'obtient par le mélange d'éléments très divers, souvent les plus inattendus. De ces éléments, un seul est stable et permanent; il doit se retrouver dans toutes les combinaisons: c'est la nouveauté. Il faut qu'une oeuvre
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