par-ci par-là. Je prendrai l'argent pour la peine que j'ai eue, et je veux bien encore exhorter les paysans.
--Mais on égorgera ces innocents! s'écria le seigneur hors de lui.
--Je n'y puis rien.
--Vous signez donc notre arrêt de mort?
Kutschkowski se jeta sur un fauteuil, le visage dans ses mains; sa femme, à genoux devant Warwara, lui demandait grace comme à un juge, mais la digne fille de Gondola ne répondit que par une grande révérence de cour et sortit, impassible. Dehors, elle adressa, selon sa promesse, quelques mots aux paysans pour les calmer, puis elle remonta dans le tra?neau avec le gendarme.
Le lendemain, on sut que les propriétaires de Baranow, grands et petits, avaient été torturés, puis mis à mort par les paysans.
--Ma foi! dit Warwara, je regrette d'avoir renvoyé leur tra?neau. A qui maintenant va-t-il servir?
Après l'exemple donné par cette fille énergique, nul ne refusa plus de se soumettre aux prétentions de la famille Gondola. L'insurrection éteinte, une nouvelle occasion de rapine ne tarda pas à se présenter. Les paysans, qui avaient combattu au nom de l'empereur, refusaient désormais de se soumettre au robot exigé par les nobles rebelles. Le gouvernement essaya d'avoir raison des résistances de ses amis par la douceur d'abord, puis par la force. L'intelligent commissaire voyageait d'un village à l'autre, vivant comme un prince chez les seigneurs ou chez leurs mandataires, envoyant à sa femme des charrettes pleines de provisions, et déployant à l'égard des paysans, selon le plus ou moins de générosité du propriétaire, toute son éloquence, depuis la douce réprimande jusqu'au baton.
Les paysans du baron Bromirski furent les premiers à reprendre leurs travaux, et le baron n'oublia jamais le service que M. Gondola lui avait rendu,--sans doute parce qu'il l'avait assez chèrement payé. Il resta l'ami intime de la famille, promena les dames en voiture, leur donna des fêtes champêtres, et les accompagna l'hiver à Lemberg, où il payait leurs emplettes et se montrait chaque soir avec elles au théatre. La robe de Warwara ne pouvait l'effleurer sans qu'il tressaill?t; chaque fois qu'il baisait la blanche main de cette belle personne, il poussait un soupir qui en disait long.
--Bromirski est amoureux de toi, dit un jour la mère à sa fille.
--Vous croyez m'apprendre une nouvelle?
--J'y ai déjà m?rement réfléchi, continua la matrone; tu pourrais faire pis que de le prendre pour amant.
--Vous voulez dire pour mari! répliqua la Panna Warwara.
Et l'épouse du commissaire ouvrit de grands yeux.
II
Au mois de mars 1848, chaque courrier apportait de Vienne des nouvelles inquiétantes; le conducteur, en descendant de son siège, était aussit?t entouré d'une foule émue; enfin le chef-lieu polonais à son tour entendit proclamer la Constitution et vit armer la garde nationale. M. Gondola secouait toujours la tête en assurant que cela finirait mal:--Que deviendra un pauvre petit employé comme moi, disait-il, quand un Metternich lui-même...--Il achevait sa phrase en levant les yeux au ciel. Certain soir, ou lui fit un charivari. Tandis que Warwara ouvrait la fenêtre pour tirer la langue au peuple, le géant, son père, se glissa sous un lit, affolé par la peur. Dans la nuit, on alla chercher le médecin; le lendemain, il mourut. Personne ne le suivit au cimetière, sa femme exceptée; Warwara prétendit n'en avoir pas la force; aucun des collègues ni des amis du défunt ne parut aux funérailles ni chez la veuve; elle fut vite, ainsi que sa fille, oubliée, pour ne pas dire évitée. En ces jours où l'on vit palir tant d'étoiles, celle des Gondola s'éteignit tout à fait. Le baron Bromirski lui-même fit le mort. D'abord, les deux affligées le crurent à Lemberg; mais, à quelque temps de là, son carrosse ayant traversé la ville, madame Gondola put constater qu'il détournait la tête pour ne pas l'apercevoir à sa fenêtre. Il fallut en finir avec le luxe; toutes les sources des gros revenus étaient taries; il ne restait plus qu'une modique pension de veuve. La mère et la fille se résignèrent à de pénibles réformes, qui n'étaient pas encore suffisantes, car, moins d'une année après, tous les meubles étaient saisis dans le petit logement qu'elles habitaient au fond d'un faubourg.
--A quoi te sert la beauté que Dieu t'a donnée? disait madame Gondola interpellant sa fille.
--Soyez s?re que j'en tirerai bon parti, maman, avec l'aide d'un autre don du bon Dieu que je me pique de posséder: l'esprit.
--Songe donc, en ce cas, à la triste situation de ta mère!
Et madame Gondola s'en allait, avec un sanglot à demi étouffé, vaquer aux soins du ménage; le soir, elle se délassait en tirant les cartes. Cependant Warwara lisait des drames à haute voix.
--Quelle idée de perdre ton temps en lectures inutiles et de crier de fa?on à faire croire aux voisins que nous nous disputons?
--Je ne suis pas femme à perdre mon temps; j'apprends des r?les, parce que
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