n'ont pas, à para?tre meilleurs et plus beaux que la nature ne les a faits, sont toujours disposés cependant à prendre le fard d'autrui pour les couleurs ingénues de la santé.
S?re de sa propre supériorité, Warwara était résolue à profiter sans miséricorde de la sottise humaine, afin d'acquérir une haute position sociale; mais elle n'était pas encore fixée sur le choix des moyens. D'abord elle essaya son pouvoir sur ses parents, qu'elle dominait à l'égal l'un de l'autre, puis sur les jeunes officiers et employés du bailliage, qui étaient entre ses mains comme autant de moineaux prisonniers dans celles d'un enfant. Elle fit de nombreuses conquêtes, mais sut fuir tout ce qui ressemblait à une intrigue amoureuse. Son but était un riche mariage, et elle n'avait pas tardé à découvrir avec sa perspicacité ordinaire que les filles romanesques se marient rarement. Elle passait pour vertueuse et même pour prude, mais sa vertu n'était que de la froideur.
Les scènes sanglantes de 1846 lui fournirent l'occasion de montrer toute la force de son caractère et l'inflexibilité de son coeur. L'insurrection polonaise contre l'Autriche avait été promptement suivie de celle des paysans contre leurs seigneurs. Des massacres épouvantables, qui commencèrent dans les provinces de l'ouest, eurent lieu au nom de l'empereur, pour qui le peuple, s'armant de faux et de fléaux, avait pris parti. Beaucoup de gentilshommes durent se réfugier avec leurs familles et leurs serviteurs, dans les villes de province, sous la protection de ce même gouvernement qu'ils avaient entrepris d'abattre. La révolution cependant n'était pas encore domptée; les troupes autrichiennes avaient abandonné aux insurgés Cracovie et Podgorze; un corps polonais avan?ait sur Tarnow. L'agglomération dans les chefs-lieux de tant de gens, qui avaient en somme pris part à la conspiration, parut dangereuse aux baillis, et ils s'empressèrent d'éconduire au plus vite ces réfugiés, qui, les circonstances aidant, pouvaient si facilement se changer en rebelles.
Les malheureux seigneurs polonais assiégeaient les bailliages et se présentaient en suppliants chez les employés desquels ils attendaient un peu de compassion ou qu'ils croyaient corruptibles. Ce fut une époque prospère pour M. Gondola; il trafiqua, par tous les moyens imaginables, de la vie menacée des nobles.
Le baron Bromirski, un vieux roué ridicule, qui, poursuivi par ses paysans, avait mis sa perruque à l'envers et tremblait de tous ses membres, fut le premier à se racheter en payant mille ducats. A ce prix, il trouva dans la maison du commissaire une cachette s?re et commode. D'autres suivirent son exemple et obtinrent la permission de rester en ville.
Le 26 février, le capitaine du cercle envoya Gondola, avec un gendarme et un détachement de chevau-légers, à quelques milles de là pour recevoir, des mains des paysans, un certain nombre d'insurgés prisonniers. Vers le soir de ce même jour, le seigneur Kutschkowski, de Baranow, entra précipitamment chez le commissaire. Lorsque madame Gondola lui eut appris que son mari ne reviendrait que le lendemain, il laissa tomber sa tête sur sa poitrine en s'écriant avec angoisse:
--Alors nous sommes perdus! Personne ne peut nous sauver!
Warwara entreprit de le consoler.
--Je suis prête à remplacer mon père de mon mieux, dit-elle. Moyennant mille ducats, nous vous cacherons volontiers.
--Il ne s'agit pas de moi seul; j'ai laissé là-bas ma femme, sa mère et mes enfants, qui courent les plus grands dangers. D'ailleurs, où voulez-vous que je prenne tant d'argent?
--Pour faire des révolutions, les Polonais trouvent toujours de l'argent, insinua d'un ton railleur madame Gondola.
Warwara réfléchissait.
--écoutez, dit-elle; j'irai avec vous chercher votre famille, que je préserverai de tout mauvais traitement. Fixez vous-même la somme que vous pouvez donner.
--Cent ducats.
Les deux femmes haussèrent les épaules.
--Je ne me dérangerais pas à moins de cinq cents, fit Warwara.
--Au nom de Dieu, venez, s'écria Kutschkowski; peut-être ma belle-mère pourra-t-elle compléter la somme.
Warwara s'enveloppa de fourrures, prit un gendarme avec elle et monta dans le tra?neau du seigneur, qui se dirigea aussit?t vers Baranow. Il faisait nuit quand ils arrivèrent; la seigneurie était entourée de paysans, les femmes tenant des torches de résine dont la rouge lumière projetait comme des taches de sang sur les faux de leurs maris. Grace à la présence de mademoiselle Gondola et du gendarme, Kutschkowski put gagner sain et sauf la salle du rez-de-chaussée, où était réunie sa famille.
--Voici, dit-il, un ange qui vient à notre secours.
Sa femme se jeta, éperdue de reconnaissance, dans les bras de la jeune fille.
Tandis qu'elle la couvrait de baisers et de bénédictions, Kutschkowski s'entretenait à voix basse avec sa belle-mère:
--Hélas! dit-il enfin d'une voix brisée, il est impossible de nous procurer tout l'argent que vous demandez; prenez les cent ducats, et ayez pitié de nous!
Mais l'ange resta inébranlable.
--S'il en est ainsi, je ne puis rien en votre faveur; mon père m'adresserait des reproches: une lourde responsabilité pèse sur lui. Les Polonais gagnent du terrain, il est nécessaire de faire un exemple
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