en avant, plus les virginités fondaient aux mains des travailleurs.
Il arriva que l'on tomba quelquefois, puis souvent, puis enfin presque toujours sur des bouteilles revues et corrigées par le comité de chimie.
Alors il fallait avaler le breuvage.
Le docteur Sue go?tait de son vin, faisait une légère grimace et disait:
-- Il est bon, mais il demande à être bu. Et c'était une si grande vérité, et le vin demandait si bien à être bu, que, le lendemain, on recommen?ait à le boire. Tout cela devait finir par une catastrophe, et, en effet, tout cela finit ainsi. Un jour que l'on savait le docteur Sue à sa maison de campagne de Bouqueval, d'où l'on comptait bien qu'il ne reviendrait pas de la journée, on s'était, à force de séductions sur la cuisinière et les domestiques, fait servir dans le jardin un excellent d?ner sur l'herbe.
Tous les empailleurs, comité de chimie compris, étaient là, couchés sur le gazon, couronnés de roses, comme les convives de la vie inimitable de Cléopatre, buvant à plein verre le tokai et le johannisberg, ou plut?t l'ayant bu, quand, tout à coup, la porte de la maison donnant sur le jardin s'ouvrit et le commandeur apparut. Le commandeur, c'était le docteur Sue. Chacun, à cette vue, s'enfuit et se cache. Rousseau seul, plus gris que les autres, ou plus brave dans le vin, remplit deux verres, et, s'avan?ant vers le docteur:
-- Ah! mon bon monsieur Sue, dit-il en lui présentant le moins plein des deux verres, voilà de fameux tokai! à la santé de l'empereur d'Autriche!
On devine la colère dans laquelle entra le docteur, en retrouvant sur le gazon le cadavre d'une bouteille de tokai, les cadavres de deux bouteilles de johannisberg et de trois bouteilles d'alicante. On avait bu l'alicante à l'ordinaire.
Les mots de vol, d'effraction, de procureur du roi, de police correctionnelle, grondèrent dans l'air comme gronde la foudre dans un nuage de tempête.
La terreur des coupables fut profonde.
Delattre connaissait un puits desséché aux environs de Clermont; il proposait de s'y réfugier.
Huit jours après, Eugène Sue partait comme sous-aide pour faire la campagne d'Espagne de 1823.
Il avait vingt ans accomplis.
La ligne imperceptible qui sépare l'adolescent du jeune homme était franchie. C'est au jeune homme que nous allons avoir affaire.
Le jeune homme.
Eugène Sue fit la campagne, resta un an à Cadix, et ne revint à Paris que vers le milieu de 1824.
Le feu du Trocadéro lui avait fait pousser les cheveux et les moustaches; il était parti imberbe, il revenait barbu et chevelu.
Cette croissance capillaire, qui faisait d'Eugène Sue un très beau gar?on, flatta probablement l'amour-propre du docteur Sue, mais ne relacha en rien les cordons de sa bourse.
Ce fut alors que, par de Leuven et Desforges, je fis connaissance avec Eugène Sue.
à cette époque, où ma vocation était déjà décidée, il n'avait, lui, aucune idée littéraire.
Desforges, qui avait une petite fortune à lui, Ferdinand Langlé, que sa mère adorait, étaient les deux Crassus de la société. Quelquefois, comme faisait Crassus à César, ils prêtaient non pas vingt millions de sesterces, mais vingt, mais trente, mais quarante, et même jusqu'à cent francs aux plus nécessiteux.
Outre sa bourse, Ferdinand Langlé mettait à la disposition de ceux des membres de la société qui n'étaient jamais s?rs ni d'un lit, ni d'un souper, sa chambre dans la maison de M. Sue, et l'en-cas que sa mère, pleine d'attentions pour lui, faisait préparer tous les soirs.
Combien de fois cet en-cas fut-il la ressource suprême de quelque membre de la société qui avait mal d?né, ou même qui n'avait pas d?né du tout!
Ferdinand Langlé, notre a?né, grand gar?on de vingt-cinq à vingt- six ans, auteur d'une douzaine de vaudevilles, amant d'une actrice du Gymnase nommée Fleuriet, charmante fille que je revois comme un mirage de ma jeunesse, et qui mourut vers cette époque, empoisonnée, dit-on, par un empoisonneur célèbre; Ferdinand Langlé rentrait rarement chez lui. Mais, comme le domestique, complètement dans nos intérêts, affirmait à Mme Langlé que Ferdinand vivait avec la régularité d'une religieuse, la bonne mère avait le soin de faire mettre tous les soirs l'en-cas sur la table de nuit.
Le domestique mettait donc l'en-cas sur la table de nuit, et la clef de la petite porte de la rue à un endroit convenu.
Un attardé se trouvait-il sans asile, il se dirigeait vers la rue du Rempart, allongeait la main dans un trou de la muraille, y trouvait la clef, ouvrait la porte, remettait religieusement la clef à sa place, tirait la porte derrière lui, allumait la bougie, s'il était le premier, mangeait, buvait et se couchait dans le lit.
Si un second suivait le premier, il trouvait la clef au même endroit, pénétrait de la même fa?on, mangeait le reste du poulet, buvait le reste du vin, levait la couverture à son tour et se fourrait dessous.
Si un troisième suivait
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