gros cormorans p��chent gravement aux creux des rochers, et les go��lands, effray��s, agitent leurs grandes ailes et font retentir l'air de cris aigus. Il n'y a plus �� en douter, un grain se forme et s'avance. Il est plus prudent de rentrer dans le golfe, ma?tre Oc��an ��tant un camarade avec lequel il ne faut pas toujours badiner. Nous longeons, en regagnant la rivi��re de Vannes, l'��cueil qu'on appelle commun��ment le Mouton, le plus terrible de tous les courants dont ces parages abondent, et que les marins experts reconnaissent �� la teinte des eaux. Le Mouton est blanc comme une toison de laine, mais il n'a rien de la douceur ni de la candeur de son homonyme, et ce sont, sans doute, les vagues blanchissantes et moutonneuses qui se pr��cipitent tumultueusement dans son gouffre comme un troupeau indompt��, qui lui ont fait donner son nom.
Telle est sa puissance que tous les bateaux, fr��les ou forts, esquifs ou navires qui s'��garent dans ses courants, sont saisis de vertige et se mettent �� tournoyer sur eux-m��mes comme un toton, s'enfon?ant toujours davantage, jusqu'�� ce qu'ils disparaissent compl��tement... Puis la mer se referme tout �� fait, de nouveaux flots couvrent les anciens, qui s'adoucissent et se calment en s'��loignant, inconscients du drame horrible qu'ils viennent de jouer.
Nous avons fait la cuisine �� bord et pr��par�� un repas hom��rique; toutes les pattes, blanches ou brunes, ont pr��t�� leur concours au cordon-bleu. On a ��pluch�� les l��gumes, taill�� le pain et la viande: c'��tait un vrai plaisir d��j��, mais qui s'est doubl�� lorsque la bonne odeur de la soupe et le grand air sont venus ouvrir �� deux battants les portes de l'estomac. Apr��s nous ��tre lest��s mieux encore que la chaloupe, nous avons fil�� sur Vannes, laissant derri��re nous le joli bourg d'Arradon et quantit�� d'habitations de plaisance, modestes maisons, chateaux ��l��gants, chalets d��coup��s et dentel��s. Ces derniers s'apportent en caisses, par morceaux, se montent et se d��montent presque aussi facilement que ces jolis joujoux suisses, ces bergeries de carton qui ont bien amus�� mon enfance. Nous avons encore salu�� Pen-Boc'h, la campagne des J��suites, dont les vastes batiments et la gracieuse chapelle se mirent dans les cieux pendant que la pimpante nacelle qui prom��ne de temps en temps les coll��giens se mire dans les flots; Conleau, une maisonnette blanche, plant��e dans le feuillage entre deux azurs, le ciel et l'Oc��an; le village de S��n��, �� moiti�� cach�� dans son nid de verdure; les Trois-Sapins, aujourd'hui repr��sent��s par un seul, et lieu favori o�� les Vannetais viennent prendre les bains; et enfin Vannes, encore dans le lointain, et se perdant dans la brume. Plusieurs chapeaux �� l'eau nous donnent les ��motions d'un homme �� la mer; nous courons trois bords pour en rep��cher un, plein de bonne volont��: quant aux deux autres, nous les abandonnons pour jeter les fondements de nouvelles ?les. Le grain aper?u en mer s'est ��vanoui comme par enchantement; le soleil est merveilleux... cependant, on nous attend pour souper �� Kergonano, et il serait bon de songer au retour; mais le courant et la brise se sont endormis ensemble, et, de ce train-l��, dit mon oncle, nous pourrions faire quatorze lieues en quinze jours.
Nous sommes au repos le plus complet, �� peine si notre esquif se balance; c'est le calme plat. Bient?t Ph��bus (style olympique), entour�� de pourpre et d'or, descend �� l'horizon et dispara?t dans la mer. La nuit d��ploie ses voiles, et nous voyons se lever une �� une toutes les ��toiles dans les profondeurs du firmament. Le vent fra?chit mais il a tourn�� bout pour bout et nous renvoie en ville, et nous voil�� luttant et courant des bords, dans notre chaloupe �� moiti�� perdue et visible sur la plaine liquide, comme une noisette dans un bois sauvage. Mais que faire? Il faut prendre son mal en patience, l'Oc��an est toujours ma?tre chez lui, d'ailleurs, il se montre bon prince ce soir, il est admirable et le ciel aussi, mille feux nous ��clairent et la lune, ce doux soleil des nuits, verse sur nous ses plus tendres rayons. On sommeille d'abord, puis on cause, puis on chante, et toutes nos voix sonores, s'��levant dans le silence et le calme de la nuit et des flots, trouvent de nouvelles vibrations et des ��chos sans fin dans leurs profondeurs.
C'��tait ravissant!... Allons, voil�� encore que je m'emballe; ma nature est enthousiaste, c'est incroyable, je vois tout en beau, en sera-t-il toujours ainsi?... Dieu le veuille car s'habituer �� voir plut?t le bon que le mauvais c?t�� des choses n'est-ce pas faire l'apprentissage du bonheur.
Il ��tait trois heures du matin lorsque nous avons mis pied �� terre. Nous venions de courir cent bords pour faire une lieue; mais c'est comme cela de toutes les parties de mer, en chaloupe �� la voile.
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