Le gorille | Page 7

Oscar Méténier
interrompt la comtesse, qu'elles
veulent tout avoir, dans ce moment suprême où elles sentent que tout
va leur échapper.
--C'est un cri du fond de ton âme, Blanche, répondit Paul en allant à
elle et la pressant dans ses bras. Pauvre enfant, que crains-tu de perdre
encore? D'où vient la fébrile appréhension qui te ronge? De qui donc ou
de quoi donc te sens-tu jalouse? L'étais-tu de nos pauvres enfants,
quand tu me voyais les adorer! Le serais-tu d'un troisième enfant, si
Dieu nous l'accordait encore? Et toi-même, l'aimerais-tu moins que
moi?
--Oui, naturellement, s'il était l'enfant, d'une autre mère! Mais, que
parlez-vous d'un troisième enfant? Vous savez, hélas! tout comme moi,
que je n'en aurai plus... Seulement, la prédilection pseudo-paternelle,
l'adoption est quelquefois une tentation de votre âge, Paul.
--Oui, très forte! répondit loyalement le comte. Mais je sens bien par ce
que vous venez de dire, que vous ne partagez point ce genre de
prédilection! Il serait donc absurde, de ma part, d'y songer,
--Vous y avez donc songé, vous?
--Je viens de le dire.
--Vous aviez en vue quelqu'enfant?
--C'est fini, n'en parlons plus jamais!
Il n'y avait pas à répliquer.
Blanche sortit, effrayée par l'expression du visage de son mari.
Mais quand M. de Breuilly fut seul, il pleura, longtemps, comme une
femme, les poings dans les yeux, sans aucun bruit. Le terrain venait de
manquer sous ses pas....
--Eh bien!dit une voix qu'à travers la porte M. de Breuilly reconnut
pour celle de Charaintru, demandez à monsieur le comte s'il consent à

me recevoir, quoique l'heure assurément soit mal choisie.
Le domestique ainsi interpellé vint frapper à la porte de Paul, déjà
occupé, devant sa toilette, à faire disparaître la trace de ses pleurs par
des ablutions réitérées.
--Dans un moment, Hercule, je suis à vous, cria-t-il à Charaintru par
la porte entrebâillée, et bien que mentalement il envoyât le visiteur à
tous les diables.
Quand ils furent en présence:
--Mon cher Paul, dit Hercule, je viens sans façon vous demander à
dîner, sous la réserve de l'agrément de madame de Breuilly, bien
entendu.
--Je me porte garant pour elle, répliqua Paul en offrant un siège à
Charaintru. Qu'y a-t-il de nouveau?
--Je voulais, reprit celui-ci, être très sûr de vous rencontrer, et j'ai
choisi l'heure du repas, ayant quelque chose d'important à vous dire.
Nous sommes seuls, n'est-ce pas?
--Absolument seuls.
--Tant mieux; ce que j'ai à vous dire ne comporte aucun témoin.
--Je vous écoute.
--L'autre jour, mon cher Paul, dit Charaintru, je vous ai horripilé, sans
le vouloir, par un stupide bavardage...
--J'ai oublié cela, mon cher Hercule. D'ailleurs, que pouvait
m'importer?...
--Aujourd'hui, je viens demander un service, comme si vous étiez fort
disposé à me le rendre.
--J'espère que vous n'en doutez pas.

--Que vous êtes bon! Eh bien! là, que savez-vous de la position
financière de Berwick, le banquier bien connu?
--Mais quelle raison aurais-je de savoir cela? Les banquiers juifs et
moi...
--Mon Dieu! les plus purs d'entre nous peuvent avoir eu affaire à des
banquiers juifs! Berwick est excessivement en vue. Vous êtes riche.
Vous spéculez quelquefois...
--Ici est votre erreur, Hercule; je ne spécule jamais.
--Sans spéculer positivement, vous avez, m'a-t-on dit, un compte ouvert
chez Berwick. Sa solvabilité vous intéresse donc, et alors, s'il est
quelqu'un de bien informé, c'est vous. Informez-moi donc à mon tour.
--Eh bien! Hercule, vous me croirez si vous pouvez, mais c'est à vous
que je demanderais la cote de Berwick sur la place, si j'avais besoin de
le savoir. Je ne sais rien, vous semblez savoir quelque chose, puisque
vous en demandez plus; eh bien! dites-moi ce que vous savez, et c'est
vous qui m'aurez rendu service.
--Je vais tout vous dire, Paul. Je suis venu à vous, vous sachant homme
de conseil, parce que j'ai ouï dire que le nouvel attelage de Berwick,
acquis pour épater le bourgeois, masque l'imminence d'une
banqueroute, et ... je suis fortement engagé avec Berwick. En second
lieu, parce que vous passez pour connaître sinon le Berwick lui-même,
du moins ses origines, ses attaches, sa famille, et que vous devez la
vérité à un ami comme moi... Vous pouvez savoir si, comme on le dit
encore, les beaux yeux de madame Berwick soutiennent le crédit du
banquier; si un protecteur anonyme, mais puissant, est sollicité
d'empêcher la barque de sombrer, si....
Le vicomte de Charaintru allait toujours récitant la leçon qu'il s'était
faite à lui-même avant d'entrer chez Paul. Chemin faisant, toutefois, il
eut l'idée de regarder M. de Breuilly, et la pâleur qui couvrait les traits
de son interlocuteur arrêta court le petit Hercule.

--Mais ... vous n'êtes pas bien? lui demanda-t-il avec un cordial intérêt,
en lui saisissant les deux mains. Vous souffrez! Dois-je appeler?
Paul, qui agonisait en silence, ne put que lui faire
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