agir alors, reprit Sanchez. Écoutez-moi,
mes frères. Vous avez confiance en moi, n'est-ce pas?
--Oh! s'écrièrent les trois hommes.
--Dans ce cas, vous me suivrez?
--Partout.
--Vite! à cheval, car moi aussi je veux assister à l'assemblée indienne.
--Et tu nous conduis?...
--A l'arbre de Gualichu.
Les quatre hardis compagnons se mirent en selle et partirent au galop.
Sanchez avait sur ses frères une supériorité que ceux-ci reconnaissaient;
de sa part, rien ne les étonnait, tant ils étaient accoutumés à lui voir
accomplir ces merveilles.
--Comptes-tu t'introduire seul au milieu des chefs? demanda Julian.
--Oui, Julian; au lieu de vingt, ils seront vingt-et-un, voilà tout, ajouta
Sanchez avec un sourire railleur.
Les bomberos piquèrent des deux et disparurent dans les ténèbres.
II.--LE PRESIDIO
Longtemps après la découverte du Nouveau-Monde, les Espagnols
fondèrent en Patagonie, en 1710, un Presidio situé sur la rive gauche du
Rio-Négro, à sept lieues de son embouchure, et nommé Nuestra senora
del Carmen ou bien encore Patagones.
L'Ulmen Negro, principal chef des Puelches campés dans le voisinage
du Rio-Négro, accueillit favorablement les Espagnols, et, moyennant
une distribution faite aux Indiens d'une grande quantité de vêtements et
de toutes sortes d'objets à leur usage, il leur vendit le cours de cette
rivière depuis son embouchure jusqu'à San Xavier. De plus, par la
volonté de l'Ulmen Negro, les indigènes aidèrent les Espagnols à élever
la citadelle qui devait leur servir d'abri, et prêtèrent ainsi leurs bras à
leur propre servitude.
A l'époque de la fondation du Carmen, le poste consistait seulement en
un fort, bâti sur la rive nord, au sommet d'une falaise escarpée qui
domine la rivière, les plaines du sud et la campagne environnante. Sa
forme est carrée: il est construit de murs épais en pierre et flanquée de
trois bastions, deux sur la rivière à l'est et à l'ouest et le troisième sur la
plaine. L'intérieur renferme la chapelle, le presbytère et le magasin aux
poudres; sur les autres côtés se prolongent des logements spacieux pour
le commandant, le trésorier, les officiers, la garnison et un petit hôpital.
Toutes ces constructions hautes d'un rez-de-chaussée seulement, sont
couvertes de tuiles. Le gouvernement possède, en outre, au dehors, de
vastes greniers, une boulangerie, un moulin, deux ateliers de serrurerie
et de menuiserie et deux estancias ou fermes approvisionnées de
chevaux et de têtes de bétail.
Aujourd'hui le fort est presque ruiné; les murailles, faute de réparations,
croulent de toutes parts; seuls les bâtiments d'habitation sont en bon
état.
Le Carmen se divise en trois groupes deux au nord et un au sud de la
rivière.
Des deux premiers, l'un, l'ancien Carmen, ou le Presidio proprement dit,
est placé entre le fort et le Rio-Négro sur le penchant de la falaise et se
compose d'une quarantaine de maisons, différentes d'ordres et de
hauteur et formant une ligne irrégulière qui suit le cours des eaux.
Autour d'elles s'éparpillent de misérables cabanes. Là est le centre du
commerce avec les Indiens.
L'autre groupe de la même rive, appelé Poblacion-del-Sur, est à
quelques centaines de pas du fort vers l'est; il en est séparé par des
dunes mouvantes qui masquent entièrement la volée des canons. La
Poblacion forme une vaste place carrée, autour de laquelle s'étend une
centaine d'habitations, neuves pour la plupart, d'un seul étage, qui sont
couvertes en tuiles et qui servent de demeure à des agriculteurs, à des
fermiers et des pulperos (marchands d'épiceries et de liqueurs).
Entre les deux groupes, il y a plusieurs maisons éparses et semées ça et
là le long de la rivière.
Le village de la rive sud, qu'on nomme Poblacion-del-Sur, est composé
d'une vingtaine de maisons alignées sur un terrain bas et sujet aux
inondations. Celles-ci, plus pauvres que celles du nord, sont le refuge
des gauchos et des estancieros. Quelques pulperos, attirés par le
voisinage des Indiens, y ont aussi établi leur commerce.
L'aspect général en est triste: à peine quelques arbres croissent-ils de
loin en loin et seulement sur le bord du fleuve, témoignant de
l'existence que leur donne à regret un sol ingrat. Les rues sont pleines
d'un sable pulvérulent qui obéit au vol du vent.
Cette description d'un pays complètement inconnu jusqu'à présent était
indispensable pour l'intelligence des faits qui vont suivre.
Le jour où commence cette histoire, vers deux heures de l'après midi,
cinq ou six gauchos, attablés dans la boutique d'un pulpero, discutaient
vivement en avalant à longs traits de la chicha dans des couïs (moitié
de calebasse qui servent de tasses) qui circulaient à la ronde. La scène
se passait à la Poblacion-del-Sur.
--Canario! s'écria un grand gaillard maigre et efflanqué qui avait la
mine et la tournure d'un effronté coquin; ne sommes-nous pas des
hommes libres? Si notre gouverneur le senor don Luciano Quiros
s'obstine à nous rançonner de la sorte, Pincheira n'est pas si loin qu'on
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