Le dinier de la Pompadour | Page 9

Eugène Demolder
temps de songer au mariage:
--Je vais parler!
La joie revenue au coeur de Jasmin encourageait l'amoureuse. Le gar?on s'égayait le long de la Seine. Il voulut cueillir une branche de salicaire et s'approcha de l'eau, parmi les joncs du bord: le reflet de la rivière illumina son visage d'un or fluide.
--Est-il joli!
Il rappela à Martine ces jeunes satyres aux chairs roses ou halées qu'on voit à étioles dans certains tableaux: ils penchent sur des urnes ou des conques, parmi des plantes aquatiques, leurs tétons bruns qui fr?lent les pétales des nymphéas.
Jasmin revint, offrant à Martine la vergette empourprée de la fleur tardive.
--Merci, dit-elle. Je la porterai dans ma chambre en souvenir de toi.
Puis le jardinier interpella le sacristain Euphémin Gourbillon, qui promenait dans un clos son maigre personnage:
--La belle récolte, Euphémin! Il y a de quoi rougir le nez à tous les sonneurs de cloches de notre capitainerie de Sens!
Il en interpella d'autres encore et se laissa accoster par maint villageois, au grand dépit de Martine.
Elle n'osa et ne put rien dire à Jasmin, moitié par timidité de jeunesse, moitié à cause des bavards de la route, et ils se trouvèrent ainsi près de la tannerie de Gillot.
--Ah! Martine! s'écria la tante, c'est gentil de venir nous aider! Va de ce c?té, où se trouvent les fillettes.
Voici l'oncle Gillot! Il est chargé de paniers débordants de grappes encore froides de rosée. Il s'en débarrasse. Puis il s'essuie le front et tape sur l'épaule de Jasmin:
--Je suis content que tu sois venu, mon neveu! Eustache Chatouillard nous est aussi arrivé.
Près de la porte du vendangeoir, Eustache, la culotte relevée mi-cuisse, dans une cuve emplie de raisins, foule, le torse nu.
--Bonjour, Jasmin! s'écrie-t-il. On ne s'est pas revu depuis le jour de la chasse.
Gillot intervient:
--Vous causerez tout à l'heure. Mon neveu, je t'emmène au-dessus des roches.
Buguet dispara?t avec l'oncle et plonge dans la mer des ceps.
Il cueille. Sa serpette habile coupe le pédoncule des grappes au bon endroit. Gillot bavarde. Buguet l'écoute d'une oreille. L'air qui passe, chargé de frémissement d'or des coteaux, les tons de turquoise du ciel, le calme du fleuve qui dort son sommeil de grand serpent d'azur, tout le fait songer à ce qui le tourmente. La vision de Mme d'étioles réappara?t au-dessus des échalas. Le sentiment qui s'est emparé de Buguet sur la route de Lieusaint et n'a cessé de chanter en lui redouble en ce moment. Pour cet amoureux des fleurs, peut-il être plus attirant objet que cette grande dame? Mme d'étioles para?t au jardinier sortie du plus odorant promenoir d'orangers, d'un cabinet de gardénias. Le gar?on se penche vers le sol, comme les autres vendangeurs, mais quand il relève la tête il la sent pleine de gloire: le décor encombré de rustres, qui semblent traire les vignes, se mue pour lui en parterre de sourires ailés. La Seine devient le fleuve complaisant: elle doit mener Jasmin vers il ne sait quelle cour où Mme d'étioles tr?nerait comme la statue d'or qui se dresse au fond des grands bassins de Vaux-Pralin, où chaque année Buguet va tailler les tilleuls et fa?onner le labyrinthe.
A onze heures, Jasmin et Gillot descendent; ils rencontrent la tante qui porte un paté de grives, mis au four dès patro-minette. Eux-mêmes reviennent de la cave du tanneur, une cave naturelle creusée dans le tuf: ils sont chargés de grosses bouteilles cachetées de cire rouge; Gillot en lève une, le sang des grappes flambe dans le verre comme sous la peau des grains et para?t heureux de revivre au soleil.
Les vendangeurs s'assoient à l'ombre d'une charrette. La mère Gillot entame le paté, tandis que Martine distribue les miches.
--Arrivez, les enfants! crie la soubrette.
Elle est saisie et dorée par le grand air comme les pains qu'elle tend l'ont été par le four.
Trois vignerons, deux filles, Tiennette s'avancent pour recevoir leur part. Eustache se roule sur l'herbe en riant et lève ses pieds et ses mollets rougis par le foulage. Chaque flacon que Buguet débouche fait sonner, ainsi qu'un pistolet qu'on décharge, le creux de son goulot. Le bruit attire Euphémin Gourbillon. Il a déjà trinqué avec maint vendangeur et sa figure s'allume, barbouillée du tabac qui tache son casaquin en ratine noire. L'oncle Gillot l'invite et il s'installe.
Le premier coup de dents se donne avec appétit.
--Les grives sentent le verjus, dit Gillot.
--Elles en ont au cul avant que les autres en aient au bec!
Tiennette interpelle Gourbillon:
--Comme vous buvez, sacristain! On voit que vous n'êtes pas chez vous!
--Effrontée! Quand le marquis d'Orangis t'offre de la citronnelle, tu t'en fourres plein le gosier.
Tiennette éclate de rire.
--Le marquis d'Orangis! Ah! non! Je n'aime point ses drogues!
La garcette prend un air malicieux:
--Je suis trop paysanne, avec mes sabots! M. d'Orangis aime les pieds bien chaussés! Il m'a promis une paire de souliers en me disant qu'il mettrait lui-même les
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