Il avait touché la chair blanche: sa main en restait parfumée!
Il reconnut aussi que l'odeur des tubéreuses était pareille à celle du flacon que Martine lui avait donné un jour en disant:
--Tiens, c'est de Mme d'étioles!
Et il songea à Mme d'étioles. Il se la figura pareille à la fille d'un lord qu'il avait vue au parc de Vaux-Pralin quand il s'y trouvait en corvée. Cette anglaise était pale comme la gordon et, ainsi que cette fleur, vêtue de mousseline blanche.
Jasmin c?toyait le fleuve. Une poule d'eau s'envolant des roseaux le tira de sa songerie. Il prit dans sa pochette la grosse montre d'argent qu'il tenait de son père. Le petit forgeron du cadran frappa huit coups sur son enclume. Jasmin, rassuré, continua lentement sa route.
Mais une femme vint l'accoster: Nicole Sansonet, la pêcheuse d'anguilles--une gaillarde qui n'eut point peur des chevau-légers en son temps et qui, frisant la quarantaine, regardait encore les gar?ons avec une flamme au fond de l'oeil. Sa cornette couvrait une figure rougeaude, son tablier à bavette dissimulait mal de grasses rondeurs. Elle portait sur le dos une hotte pleine de poissons; une gourde battait ses fesses.
--Belle journée, Jasmin, dit-elle. Il faut en profiter. Elles vont se faire rares, mon gas!
Ils cheminent c?te à c?te. Tout à coup la commère regarde son compagnon en face:
--A propos, toi, t'es pas encore marié? T'es dans l'age pourtant! On l'avait annoncé, ton mariage! On croyait que ce serait aux prunes! Et puis, pan! V'la Martine à étioles! Alors, c'est-y pour les vendanges ou la No?l?
Jasmin rit et Nicole continue:
--C'est qu'elle est avenante, la matine! A ta place, je n'aimerais guère la voir entourée de ces freluquets d'étioles! La vertu d'une femme ?a glisse comme l'anguille, et quand c'est parti, c'est parti! Ouvre l'oeil, Jasmin, c'est Nicole qui te le dit.
Buguet était arrivé. Il remercia la pêcheuse pour ses conseils et se dirigea vers la tannerie de l'oncle Gillot.
Elle s'érigeait devant la Seine. Culottée par le tannin, le sang, les chiures de frelons, elle distribuait ses trois séchoirs et le logis du ma?tre le long d'une cour brune et puante. Au milieu, une charrette pleine de peaux de boeufs était arrêtée.
Jasmin entra. Ses parents lui firent bon accueil. La tante Gillot prit le melon, le flaira sous la queue. Le jardinier s'informa de l'état des vignes.
--Eh! si septembre est chaud (chose probable, vu que le beau temps a pris avec la lune!) on pourra vendanger t?t!
--Bonne affaire, répliqua Jasmin. En attendant je vais passer la journée ici et voir s'il n'y a rien à tailler dans l'enclos.
--J'ai mieux pour toi, mon neveu, dit la mère Gillot. Eustache Chatouillard, notre voisin, a promis de venir me prendre dans sa carriole pour aller à Sénart, où le Roi chasse en forêt. Mais il faut que j'aide mon homme à mettre les peaux dessaigner dans la rivière. Va à Sénart à ma place!
Jasmin hésita.
--C'est des choses qu'on voit une fois dans sa vie, insista Gillot.
Eustache arriva sur ces entrefaites. Il poussa des exclamations en apprenant que la mère Gillot était empêchée. Mais il enleva Jasmin.
--Je suis certain que le Roi vient, affirma-t-il. Je le tiens de grenadiers à cheval qui raccommodaient la route.
Comme Jasmin s'étonnait que des soldats vinssent réparer les chemins pour un seul passage de carrosses:
--Ah! Ah! reprit Chatouillard, c'est qu'il y a des dames dans les carrosses, et les cahots, ?a ne fripe pas seulement les atours! Il y a autre chose en dessous qu'il faut soigner!... ?a te fait rire, jardinier! Tu ne t'assieds pas sur tes laitues quand tu les portes au marché de Corbeil?
--Eh! J'ai trop souci de ma marchandise!
--Chacun a souci de la sienne, mon gars! Hue, Bourry!
Le cheval trottait ferme, excité par les éclats de voix d'Eustache et les coups de fouet. Les jeunes gens atteignirent Nandy, dont la petite église sonna dix heures. Ils traversaient les champs déjà fauchés où les perdrix couraient dans le chaume. Les meules posaient leurs c?nes d'or à c?té des bosquets d'un vert sombre; une brise légère fit glisser le frisson pale des feuilles retournées.
Le village de Lieusaint, où ils arrivèrent bient?t, était encombré. Un air de fête soufflait. Les groupes de paysans allaient, venaient, avec des fermières en coqueluchon noir ou en chapeau de paille; une quêteuse de grand chemin, ses souliers à la ceinture, regardait, l'air ahuri. Un ane chargé d'ustensiles revenait du marché de Corbeil, accompagné de laitières portant le pot de cuivre sur la tête et de gamins qui avaient été vendre des noisettes au litron.
Les grenadiers à cheval caracolaient, sous leur bonnet rouge garni de peau d'ourson.
Ils avaient les sabres au clair; de longs fusils et des épieux battaient leurs cuisses.
Au fond de la longue, et large route qui, bordée au bourg de fermes et de maisons blanches, pénétrait ensuite dans la forêt, au loin,
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