siècle!
L'artiste doit aimer la vie et nous montrer qu'elle est belle. Sans lui,
nous en douterions.
* * *
L'ignorance est la condition nécessaire, je ne dis pas du bonheur, mais
de l'existence même. Si nous savions tout, nous ne pourrions pas
supporter la vie une heure. Les sentiments qui nous la rendent ou douce,
ou du moins tolérable, naissent d'un mensonge et se nourrissent
d'illusions.
Si possédant, comme Dieu, la vérité, l'unique vérité, un homme la
laissait tomber de ses mains, le monde en serait anéanti sur le coup et
l'univers se dissiperait aussitôt comme une ombre. La vérité divine,
ainsi qu'un jugement dernier, le réduirait en poudre.
* * *
Au vrai jaloux, tout porte ombrage, tout est sujet d'inquiétude. Une
femme le trahit déjà seulement parce qu'elle vit et qu'elle respire. Il
redoute ces travaux de la vie intérieure, ces mouvements divers de la
chair et de l'âme qui font de cette femme une créature distincte de
lui-même, indépendante, instinctive, douteuse et parfois inconcevable.
Il souffre de ce qu'elle fleurit d'elle-même comme une belle plante, sans
qu'aucune puissance d'amour puisse retenir et prendre tout ce qu'elle
répand au monde de parfum dans ce moment agité qui est la jeunesse et
la vie. Au fond, il ne lui reproche rien, sinon qu'elle est. C'est là ce qu'il
ne saurait supporter paisiblement. Elle est, elle vit, elle est belle, elle
songe. Quel sujet d'inquiétude mortelle! Il veut toute cette chair. Il la
veut plus et mieux que n'a permis la nature, et toute.
La femme n'a pas cette imagination. Le plus souvent, ce qu'on prend
chez elle pour de la jalousie, c'est la rivalité. Mais, quant à cette torture
des sens, à cette hantise des apparitions odieuses, à cette fureur
imbécile et lamentable, à cette rage physique, elle ne la connaît point
ou ne la connaît guère. Son sentiment, dans ce cas, est moins précis que
le nôtre. Une sorte d'imagination n'est pas très développée en elle,
même dans l'amour, et dans l'amour sensuel: c'est l'imagination
plastique, le sens précis des figures. Un grand vague enveloppe ses
impressions, et toutes ses énergies restent tendues pour la lutte. Jalouse,
elle combat avec une opiniâtreté, mêlée de violence et de ruse, dont
l'homme est incapable. Ce même aiguillon qui nous déchire les
entrailles l'excite à la course. Dépossédée, elle lutte pour l'empire et
pour la domination.
Aussi la jalousie, qui chez l'homme est une faiblesse, est une force chez
la femme et la pousse aux entreprises. Elle en tire moins de dégoût que
d'audace.
Voyez l'Hermione de Racine. Sa jalousie ne s'exhale pas en noires
fumées; elle a peu d'imagination; elle ne fait point de ses tourments un
poème plein d'images cruelles. Elle ne rêve pas, et qu'est-ce que la
jalousie sans le rêve? qu'est-ce que la jalousie sans l'obsession et sans
une espèce de monomanie furieuse? Hermione n'est pas jalouse. Elle
s'occupe d'empêcher un mariage. Elle veut l'empêcher à tout prix, et
reprendre un homme, rien de plus.
Et quand cet homme est tué pour elle, par elle, elle est étonnée; elle est
surtout attrapée. C'est un mariage manqué. Un homme sa place se fut
écrié: «Tant mieux! cette femme que j'aimais, personne ne l'aura.
* * *
Le monde est frivole et vain, tant qu'il vous plaira. Pourtant, ce n'est
point une mauvaise école pour un homme politique. Et l'on peut
regretter qu'on en ait si peu l'usage aujourd'hui dans nos parlements. Ce
qui fait le monde, c'est la femme. Elle y est souveraine: rien ne s'y fait
que par elle et pour elle. Or la femme est la grande éducatrice de
l'homme; elle lui enseigne les vertus charmantes, la politesse, la
discrétion et cette fierté qui craint d'être importune. Elle montre à
quelques-uns l'art de plaire, à tous l'art utile de ne pas déplaire. On
apprend d'elle que la société est plus complexe et d'une ordonnance
plus délicate qu'on ne l'imagine communément dans les cafés politiques.
Enfin on se pénètre près d'elle de cette idée que les rêves du sentiment
et les ombres de la foi sont invincibles, et que ce n'est pas la raison qui
gouverne les hommes.
* * *
Le comique est vite douloureux quand il est humain. Est-ce que don
Quichotte ne vous fait pas quelquefois pleurer? Je goûte beaucoup pour
ma part quelques livres d'une sereine et riante désolation, comme cet
incomparable Don Quichotte ou comme Candide, qui sont, à les bien
prendre, des manuels d'indulgence et de pitié, des bibles de
bienveillance.
* * *
L'art n'a pas la vérité pour objet. Il faut demander la vérit aux sciences,
parce qu'elle est leur objet; il ne faut pas la demander à la littérature,
qui n'a et ne peut avoir d'objet que le beau.
La Chloé du roman grec ne fut jamais
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