où ses lecteurs n'allaient point, car c'étaient de vieux Byzantins blanchis au fond de leur palais, au milieu de féroces mosa?ques ou derrière le comptoir sur lequel ils avaient amassé de grandes richesses. Afin d'égayer ces vieillards mornes, le conteur leur montra deux beaux enfants. Et pour qu'on ne confondit point son Daphnis et sa Chloé avec les petits polissons et les fillettes vicieuses qui foisonnent sur le pav des grandes villes, il prit soin de dire: ?Ceux dont je vous parle vivaient autrefois à Lesbos, et leur histoire fut peinte dans un bois consacré aux Nymphes.? Il prenait l'utile précaution que toutes les bonnes femmes ne manquent jamais de prendre avant de faire un conte, quand elles disent: ?Au temps que Berthe filait.? ou: ?Quand les bêtes parlaient.
Si l'on veut nous dire une belle histoire, il faut bien sortir un peu de l'expérience et de l'usage.
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Nous mettons l'infini dans l'amour. Ce n'est pas la faute des femmes.
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Je ne crois pas que douze cents personnes assemblées pour entendre une pièce de théatre forment un concile inspiré par la sagesse éternelle; mais le public, ce me semble, apporte ordinairement au spectacle une na?veté de coeur et une sincérit d'esprit qui donnent quelque valeur au sentiment qu'il éprouve. Bien des gens à qui il est impossible de se faire une idée de ce qu'ils ont lu sont en état de rendre un compte assez exact de ce qu'ils ont vu représenté. Quand on lit un livre, on le lit comme on veut, on en lit ou plut?t on y lit ce qu'on veut. Le livre laisse tout à faire à l'imagination. Aussi les esprits rudes et communs n'y prennent-ils pour la plupart qu'un pale et froid plaisir. Le théatre au contraire fait tout voir et dispense de rien imaginer. C'est pourquoi il contente le plus grand nombre. C'est aussi pourquoi il pla?t médiocrement aux esprits rêveurs et méditatifs. Ceux-là n'aiment les idées que pour le prolongement qu'ils leur donnent et pour l'écho mélodieux qu'elles éveillent en eux-mêmes. Ils n'ont que faire dans un théatre et préfèrent au plaisir passif du spectacle la joie active de la lecture. Qu'est-ce qu'un livre? Une suite de petits signes. Rien de plus. C'est au lecteur à tirer lui-même les formes, les couleurs et les sentiments auxquels ces signes correspondent. Il dépendra de lui que ce livre soit terne ou brillant, ardent ou glacé. Je dirai, si vous préférez, que chaque mot d'un livre est un doigt mystérieux, qui effleure une fibre de notre cerveau comme la corde d'une harpe et éveille ainsi une note dans notre ame sonore. En vain la main de l'artiste sera inspirée et savante. Le son qu'elle rendra dépend de la qualité de nos cordes intimes. Il n'en est pas tout à fait de même du théatre. Les petits signes noirs y sont remplacés par des images vivantes. Aux fins caractères d'imprimerie qui laissent tant à deviner sont substitués des hommes et des femmes, qui n'ont rien de vague ni de mystérieux. Le tout est exactement déterminé. Il en résulte que les impressions re?ues par les spectateurs sont aussi peu dissemblables que possible, en égard à la fatale diversité des sentiments humains. Aussi voit-on, dans toutes les représentations (que des querelles littéraires ou politiques ne troublent point), une véritable sympathie s'établir entre tous les assistants. Si l'on considère, d'ailleurs, que le théatre est l'art qui s'éloigne le moins de la vie, on reconna?tra qu'il est le plus facile à comprendre et à sentir et l'on en conclura que c'est celui sur lequel le public est le mieux d'accord et se trompe le moins.
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Que la mort nous fasse périr tout entiers, je n'y contredis point. Cela est fort possible. En ce cas, il ne faut pas la craindre:
Je suis, elle n'est pas; elle est, je ne suis plus.
Mais si, tout en nous frappant, elle nous laisse subsister, soyez bien s?rs que nous nous retrouverons au delà du tombeau tels absolument que nous étions sur la terre. Nous en serons sans doute fort penauds. Cette idée est de nature à nous gater par avance le paradis et l'enfer.
Elle nous ?te toute espérance, car ce que nous souhaitons le plus, c'est de devenir tout autres que nous ne sommes. Mais cela nous est bien défendu.
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Il y a un petit livre allemand qui s'appelle: Notes à ajouter au livre de la vie, et qui est signé Gerhard d'Amyntor, livre assez vrai et par conséquent assez triste, où l'on voit décrite la condition ordinaire des femmes. ?C'est dans les soucis quotidiens que la mère de famille perd sa fra?cheur et sa force et se consume jusqu'à la moelle de ses os. L'éternel retour de la question: ?Que faut-il faire cuire aujourd'hui?? l'incessante nécessité de balayer le plancher, de battre,
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