l'Européen discipliné qui combattait sous la même bannière, passaient quelquefois des mois entiers à lutter contre les torrents, et à se frayer un passage entre les gorges des montagnes, en cherchant l'occasion de donner des preuves plus directes de leur intrépidité. Mais, émules des guerriers naturels du pays dans leur patience, et apprenant d'eux à se soumettre aux privations, ils venaient à bout de surmonter toutes les difficultés; on pouvait croire qu'avec le temps il ne resterait pas dans le bois une retraite assez obscure, une solitude assez retirée pour offrir un abri contre les incursions de ceux qui prodiguaient leur sang pour assouvir leur vengeance, ou pour soutenir la politique froide et égo?ste des monarques éloignés de l'Europe.
Sur toute la vaste étendue de ces frontières il n'existait peut- être aucun district qui p?t fournir un tableau plus vrai de l'acharnement et de la cruauté des guerres sauvages de cette époque, que le pays situé entre les sources de l'Hudson et les lacs adjacents.
Les facilités que la nature y offrait à la marche des combattants étaient trop évidentes pour être négligées. La nappe allongée du lac Champlain s'étendait des frontières du Canada jusque sur les confins de la province voisine de New-York, et formait un passage naturel dans la moitié de la distance dont les Fran?ais avaient besoin d'être ma?tres pour pouvoir frapper leurs ennemis. En se terminant du c?té du sud, le Champlain recevait les tributs d'un autre lac, dont l'eau était si limpide que les missionnaires jésuites l'avaient choisie exclusivement pour accomplir les rites purificateurs du baptême, et il avait obtenu pour cette raison le titre de lac du Saint-Sacrement. Les Anglais, moins dévots, croyaient faire assez d'honneur à ces eaux pures en leur donnant le nom du monarque qui régnait alors sur eux, le second des princes de la maison de Hanovre. Les deux nations se réunissaient ainsi pour dépouiller les possesseurs sauvages des bois de ses rives, du droit de perpétuer son nom primitif de lac Horican[6].
Baignant de ses eaux des ?les sans nombre, et entouré de montagnes, le ?saint Lac? s'étendait à douze lieues vers le sud. Sur la plaine élevée qui s'opposait alors au progrès ultérieur des eaux, commen?ait un portage d'environ douze milles qui conduisait sur les bords de l'Hudson, à un endroit où, sauf les obstacles ordinaires des cataractes, la rivière devenait navigable.
Tandis qu'en poursuivant leurs plans audacieux d'agression et d'entreprise, l'esprit infatigable des Fran?ais cherchait même à se frayer un passage par les gorges lointaines et presque impraticables de l'Alleghany, on peut bien croire qu'ils n'oublièrent point les avantages naturels qu'offrait le pays que nous venons de décrire. Il devint de fait l'arène sanglante dans laquelle se livrèrent la plupart des batailles qui avaient pour but de décider de la souveraineté sur les colonies. Des forts furent construits sur les différents points qui commandaient les endroits où le passage était le plus facile, et ils furent pris, repris, rasés et reconstruits, suivant les caprices de la victoire ou les circonstances. Le cultivateur, s'écartant de ce local dangereux, reculait jusque dans l'enceinte des établissements plus anciens; et des armées plus nombreuses que celles qui avaient souvent disposé de la couronne dans leurs mères-patries s'ensevelissaient dans ces forêts, dont on ne voyait jamais revenir les soldats qu'épuisés de fatigue ou découragés par leurs défaites, semblables enfin à des fant?mes sortis du tombeau.
Quoique les arts de la paix fussent inconnus dans cette fatale région, les forêts étaient animées par la présence de l'homme. Les vallons et les clairières retentissaient des sons d'une musique martiale, et les échos des montagnes répétaient les cris de joie d'une jeunesse vaillante et inconsidérée, qui les gravissait, fière de sa force et de sa gaieté, pour s'endormir bient?t dans une longue nuit d'oubli.
Ce fut sur cette scène d'une lutte sanglante que se passèrent les événements que nous allons essayer de rapporter, pendant la troisième année de la dernière guerre que se firent la France et la Grande-Bretagne, pour se disputer la possession d'un pays qui heureusement était destiné à n'appartenir un jour ni à l'une ni à l'autre.
L'incapacité de ses chefs militaires, et une fatale absence d'énergie dans ses conseils à l'intérieur, avaient fait déchoir la Grande-Bretagne de cette élévation à laquelle l'avaient portée l'esprit entreprenant et les talents de ses anciens guerriers et hommes d'état. Elle n'était plus redoutée par ses ennemis, et ceux qui la servaient perdaient rapidement cette confiance salutaire d'où na?t le respect de soi-même. Sans avoir contribué à amener cet état de faiblesse, et quoique trop méprisés pour avoir été les instruments de ses fautes, les colons supportaient naturellement leur part de cet abaissement mortifiant. Tout récemment ils avaient vu une armée d'élite, arrivée de cette contrée, qu'ils respectaient comme leur mère-patrie, et qu'ils avaient regardée comme invincible; une armée conduite par un chef
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