Le dernier des mohicans | Page 4

James Fenimore Cooper
longtemps par le titre flatteur de Lenape; mais lorsque les Anglais eurent changé le nom du fleuve en celui de ?Delaware?, ce nouveau nom devint insensiblement celui des habitants. En général ils montrent beaucoup de délicatesse et de discernement dans l'emploi des dénominations. Des nuances expressives donnent plus de clarté à leurs idées, et communiquent souvent une grande énergie à leurs discours.
Dans un espace de plusieurs centaines de milles, le long des frontières septentrionales de la tribu des Lenapes, habitait un autre peuple qui offrait les mêmes subdivisions, la même origine, le même langage, et que ses voisins appelaient Mengwe. Ces sauvages du nord étaient d'abord moins puissants et moins unis entre eux que les Lenapes. Afin de remédier à ce désavantage, cinq de leurs tribus les plus nombreuses et les plus guerrières qui se trouvaient le plus près de la maison du conseil de leurs ennemis se liguèrent ensemble pour se défendre mutuellement; et ce sont, par le fait, les plus anciennes Républiques Unies dont l'histoire de l'Amérique septentrionale offre quelque trace. Ces tribus étaient les Mohawks, les Oneidas, les Cenecas, les Cayugas et les Onondagas. Par la suite, une tribu vagabonde de la même race, qui s'était avancée près du soleil, vint se joindre à eux, et fut admise à participer à tous les privilèges politiques. Cette tribu (les Tuscaroras) augmenta tellement leur nombre, que les Anglais changèrent le nom qu'ils avaient donné à la confédération, et ils ne les appelèrent plus les Cinq, mais les six Nations. On verra dans le cours de cette relation que le mot nation s'applique tant?t à une tribu et tant?t au peuple entier, dans son acception la plus étendue. Les Mengwes étaient souvent appelés par les Indiens leurs voisins Maquas, et souvent même, par forme de dérision, Mingos. Les Fran?ais leur donnèrent le nom d'Iroquois, par corruption sans doute de quelqu'une des dénominations qu'ils prenaient.
Une tradition authentique a conservé le détail des moyens peu honorables que les Hollandais d'un c?té, et les Mengwes de l'autre, employèrent pour déterminer les Lenapes à déposer les armes, à confier entièrement aux derniers le soin de leur défense, en un mot à n'être plus, dans le langage figuré des naturels, que des femmes. Si la politique suivie par les Hollandais était peu généreuse, elle était du moins sans danger. C'est de ce moment que date la chute de la plus grande et de la plus civilisée des nations indiennes qui occupaient l'emplacement actuel des états- Unis. Dépouillés par les blancs, opprimés et massacrés par les sauvages, ces malheureux continuèrent encore quelque temps à errer autour de leur maison du conseil, puis, se séparant par bandes, ils allèrent se réfugier dans les vastes solitudes qui se prolongent à l'occident. Semblable à la clarté de la lampe qui s'éteint, leur gloire ne brilla jamais avec plus d'éclat qu'au moment où ils allaient être anéantis.
On pourrait donner encore d'autres détails sur ce peuple intéressant, surtout sur la partie la plus récente de son histoire; mais l'auteur ne les croit pas nécessaires au plan de cet ouvrage. La mort du pieux et vénérable Heckewelder[5] est sous ce rapport une perte qui ne sera peut-être jamais réparée. Il avait fait une étude particulière de ce peuple; longtemps il prit sa défense avec autant de zèle que d'ardeur, non moins pour venger sa gloire que pour améliorer sa condition morale.
Après cette courte Introduction, l'auteur livre son ouvrage au lecteur. Cependant la justice ou du moins la franchise exige de lui qu'il recommande à toutes les jeunes personnes dont les idées sont ordinairement resserrées entre les quatre murs d'un salon, à tous les célibataires d'un certain age qui sont sujets à l'influence du temps, enfin à tous les membres du clergé, si ces volumes leur tombent par hasard entre les mains, de ne pas en entreprendre la lecture. Il donne cet avis aux jeunes personnes qu'il vient de désigner, parce qu'après avoir lu l'ouvrage elles le déclareraient inconvenant; aux célibataires, parce qu'il pourrait troubler leur sommeil; aux membres du clergé, parce qu'ils peuvent mieux employer leur temps.
LE DERNIER DES MOHICANS
HISTOIRE DE MIL SEPT CENT CINQUANTE-SEPT
Ne soyez pas choqués de la couleur de mon teint; c'est la livrée un peu foncée de ce soleil br?lant près duquel j'ai pris naissance.
Shakespeare. Le Marchand de Venise, acte II, scène I.
Chapitre premier
Mon oreille est ouverte. Mon coeur est préparé; quelque perte que tu puisses me révéler, c'est une perte mondaine; parle, mon royaume est-il perdu?
Shakespeare.
C'était un des caractères particuliers des guerres qui ont eu lieu dans les colonies de l'Amérique septentrionale, qu'il fallait braver les fatigues et les dangers des déserts avant de pouvoir livrer bataille à l'ennemi qu'on cherchait. Une large ceinture de forêts, en apparence impénétrables, séparait les possessions des provinces hostiles de la France et de l'Angleterre. Le colon endurci aux travaux et
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