Le dangereux jeune homme | Page 3

René Boylesve
conforme aux prescriptions de la méthode Hébert; il y a donc des choses qui ne se font pas?...
La scène n'avait pas été sans produire quelque éclat, et des portes s'entr'ouvraient dans le corridor éclairé. On vit Robert, les cheveux trempés et lui ruisselant en mèches stupides sur les oreilles. On chuchotait, tout le long du couloir; on pouffait. Le malheureux e?t voulu éviter plus que tous autres son beau-frère et sa soeur: ce fut sur eux qu'il tomba. Ils regagnaient, les derniers, leurs chambres. A cet aspect de lessive, le beau-frère eut t?t fait de deviner ce qui était advenu à Robert, et, comme sa femme allait s'attendrir, il lui fit:
--?a y est!... J'attendais cela. Je vois que ?a s'est bien passé.
--Mais, quoi donc?
--Ton frérot vient de prendre sa le?on de choses. Il ne suffit pas d'être ?nouveau jeu?, il faut conna?tre les règles du jeu nouveau. Maintenant, il les sait!...

LES TROIS PERSONNES
A émile Henriot.
A la Potinière d'une ville d'eaux, entre midi et une heure, trois messieurs se trouvèrent pressés, et, comme ils causaient là, ventre à ventre, ils convinrent d'aller déjeuner ensemble.
Ils avaient passé la cinquantaine et modifié leur visage depuis peu, s'étant rasés à la manière des générations neuves et ayant rejeté vers l'occiput ce qu'il leur restait de cheveux grisonnants ou gris. Ils étaient nu-tête et en pantalon blanc.
Ils convinrent d'aller déjeuner près de là, sous les arbres de l'auberge à la mode, entre une verte pelouse de la largeur d'un mouchoir et un orchestre excellent. Les automobiles passaient, bruissaient, empestaient; le vent d'est secouait tentes et parasols et rabattait la nappe sur les assiettes. Les trois messieurs, en léger costume d'été, s'installèrent fermement.
De quoi parler, entre quinquagénaires, lorsqu'on mange bien et que le vacarme des machines, uni d'une fa?on paradoxale aux langueurs de la valse-hésitation, stupéfie vos pensées? De quoi parler, sinon de souvenirs?
Remembrances gaillardes, aventures de régiment, de chemin de fer ou de chasse, l'écume de la mémoire, sont mises en commun tout d'abord; puis, à mesure que l'intimité na?t en dépit du tintamarre, et si la musique, par hasard per?ue, vient à vous caresser les nerfs, voilà des sources plus limpides qui jaillissent, et vous éprouvez le besoin d'exprimer enfin quelque chose qui compte.
Tout beau! Au premier geste de confidence, l'un des trois hommes, M. de Soucelles, leva la main comme un chef d'orchestre qui arrête net ses musiciens:
--Messieurs, dit-il, nous glisserions trop vite à l'épanchement mensonger qui embellit une aventure dans le temps même que celle-ci prend consistance! Interdisons-nous de toucher à aucune affaire où nous ayons joué un r?le avantageux. Il faut à tout prix, si l'on veut bien dire, limiter son discours. Et que penseriez-vous, pour écarter les vantardises, de raconter exclusivement des mésaventures? Chacun de nous, que diable! conna?t bien une femme qu'il ait un jour voulu attaquer, ou qu'il ait attaquée, et sans succès, s'étant heurté, comme dit mon fils, guerrier, ?à un bec de gaz?!...
--Ne reste que l'embarras du choix! dit modestement M. Bernereau.
M. Bri?onnet, le troisième, se souvint aussit?t d'avoir go?té un amer plaisir, au moins une fois, près d'une femme qu'il e?t aimée plus qu'aucune, mais qui était éprise, à la folie, de son mari.
--Oh! fit M. de Soucelles, s'il s'agit d'une amoureuse légitime, à vous l'honneur, ? Bri?onnet: la mienne aimait son amant.
--La mienne aussi, dit M. Bernereau.
I
M. Bri?onnet laissa passer une soixante-chevaux à échappement libre, dont le bruit, sans proportion avec les capacités du tympan humain, étouffa le ?Clair de lune? de Werther; et il allait entamer son histoire, quand trois automobiles, lancées à toute allure, et qui se voulaient distancer, déchirèrent l'atmosphère de leur impertinent klakson. Ces messieurs attendirent avec la résignation touchante des hommes de progrès, qui ont accepté une fois pour toutes les inconvénients de la vie moderne.
Enfin il fut un instant possible d'écouter l'orchestre excellent que les clients de la célèbre auberge payaient cher, et alors M. Bri?onnet commen?a:
--Je jure de dire la vérité, toute la vérité, fit-il en levant la main, comme à la barre, mais je modifie les noms propres et la topographie.
--Ce sera règle admise; opinèrent les deux autres; nous sommes, au moins en cela, de la vieille école, et nous observons quelque discrétion en racontant des histoires de femmes.
--Je vous préviens que c'est une idylle, genre bien passé de mode. Si elle vous ennuie, interrompez-moi. Admettons que mon héro?ne s'appelait... madame des Gaudrées. C'est le nom d'une ferme que j'ai possédée en Anjou. Je situe ma pastorale aux environs de Pont-l'évêque. Messieurs, je fus, un des premiers, invité chez cette personne après son mariage avec un de mes camarades de collège. Nous nous traitions de camarades: Gaudrées était jadis entré en cinquième au lycée Henri IV, alors que j'y faisais, moi, ma philosophie; c'est vous dire que j'étais pour lui un ancien.
--Et que, en cette qualité,
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