pour voir défiler leurs savoureuses paroissiennes, avant de se répandre dans les estaminets....
C'était eux:
Les patauds très entreprenants, ennemis jurés de la ville et des oeuvres urbaines, les gaillards exubérants, mais sans aucune urbanité, les réfractaires que nous signalaient, depuis des heures, à la suite du cuistreux journal, le ciel bougon, la campagne haletante, la pluie trop tiède et les sèves exaltées.
Montés en couleur, les pommettes et les oreilles avivées par les ablutions dominicales et le raclage chez le frater, sanglés dans leurs bragues de drap noir bien cati; la casquette de moire rafalée dans le cou, ou posée de travers en éborgnant de la large visière les plus dégingandés de ces farauds; les sarraux bleus empesés, fron?ant à l'encolure et ballonnant comme une cloche; mains en poches ou bras croisés; tous calés comme des lutteurs, dans la posture avantageuse et luronne du cochet du village qui se sait la cible des plus convoiteuses oeillades de sa paroisse.
La plupart n'arboraient que de naissantes moustaches ou qu'une mouche de poil follet. Il y avait dans ce rassemblement des cadets de seize ans comme des gars de trente; de grands poupards, un peu veules, blonds comme le chanvre, aux yeux d'un bleu de fa?ence, l'air timide et passif, coudoyaient des brunets musclés et trapus, frisés comme des moutons, aux prunelles ardentes et veloutées. Et dans le tas de ces gaillards de complexion normale, s'insinuaient un ou deux rousseaux chafouins et grêlés, puis l'invariable bossu, le loustic de la bande, et enfin, le non moins fatal innocent, le mystérieux prédestiné, ayant poussé à la pluie et au vent, maltraité ou choyé suivant la superstition dominante, tant?t objet de terreur, tant?t fétiche bienfaisant, tenu tour à tour pour un visité de Dieu et pour un possédé du diable, battu comme platre et lapidé pendant l'épizootie ou après la grêle ou le feu; entretenu et dorloté à la veille des moissons, et, sous ses guenilles, plus beau, plus sain encore que les plus plastiques de ses compagnons, tellement beau que les faneuses aux champs se signent et s'enfuient lorsqu'il r?de autour d'elles, autant par crainte de polluer l'oeuvre divine que de tenter le démon....
Et pourtant elles ne sont pas filles à se laisser facilement rebuter!
Mannequinées dans leurs cottes bouffantes, fières de leur fichu de damas ou de laine frangée, des coiffes ailées ou des bonnets enrubannés encadrent leurs visages ronds. Leurs galbes évoquent plut?t le fruit m?rissant, un peu rêche et acidulé, que la fleur satinée aux fragiles pétales. Pataudes à l'épiderme résistant, préparées, par les morsures du soleil et les gelées corrodantes, aux non moins apres baisers de leurs galants. Hanches fournies, gorges fermes et protubérantes défient rudes étreintes, accolades intempestives, inopinés corps à corps parmi les foins nouveaux des meules ou les foins plus suborneurs encore des granges.
D'avance leurs yeux hardis et lascifs scrutent et palpent sans vergogne les formes de leurs épouseurs. Femelles solides comme les males, aussi libres que leurs compagnons de charroi et de culture, trayeuses sans préjugés; pour peu que le poursuivant temporise, elles sont capables de lui déclarer à br?le-sarrau leur légitime envie et même d'essayer leur coucheur avant les noces. Dam! on ne conna?t pas le divorce au village et, comme elles disent, on n'achète pas un boeuf pour un taureau!
Lourdes dévotes, pour se donner contenance, elles manipulent des missels graisseux imprimés en caractères d'abécédaires à l'intention de ces liseuses anonnantes et leurs doigts gourds défilent machinalement des chapelets de buis.
Il nous fallait passer, couple intrus, entre la procession des femmes et l'immobile carré des regardants. Appariés, nous déréglions la communauté; nous manquions à l'édifiante séparation des jupes et des blouses.
Surpris par notre présence insolite et presque dévergondée, on nous dévisagea, à droite et à gauche, d'un air torve et pantois.
Cette confrontation ne dura que quelques secondes; en me la rappelant, j'en ai froid jusqu'aux moelles; mais j'en regrette la délicieuse angoisse et le charme pervers. Ce monde m'était plus affectif que sinistre.
Massés sur le mamelon au pied de l'arbre, affriolés au passage de leurs pataudes, n'est-ce pas que ces laboureurs en parade dégageaient un fluide plus impérieux et plus magnétique que les grands chênes de tout à l'heure?
J'augurai d'emblée leur solidarité dans n'importe quelle entreprise, et un terrible danger pour moi; mais surtout pour toi, trop désirable citadine! Sans doute, avant d'arriver jusqu'à toi, ils me passeraient sur le corps. Mais après? En se dédommageant de leur longue continence, en se dégorgeant jusqu'au soulas, ils assouviraient du même coup leur haine contre la cité.... Eh bien, sous la menace d'une catastrophe, je refusais d'abhorrer les prochains ravisseurs.
Aberration, détraquement, monstruosité; appelle cela du nom que tu voudras, mais je jure que, durant ces minutes climatériques, je ne t'aimai plus qu'en eux; oui, dans mon for intime je leur savais gré de te trouver à leur go?t; misérable que
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