Le cycle patibulaire | Page 9

Georges Eekhoud
mariat, mais le jeune homme un peu farouche ne se pressait pas, sinc��rement convaincu de n'��tre jamais plus heureux qu'aupr��s d'elle.
Tout alla bien jusqu'au jour o�� l'appoint des irr��guliers s'augmenta d'une pauvresse et de sa fille, exil��es d'on ne sait combien de patries et qui obtinrent de la charit�� du comte de Thyme, la jouissance--puisque cela s'appelle ainsi--d'une masure abandonn��e, sur la lisi��re des bois, de l'autre c?t�� du Boschhof.
Comme leurs pareils, ces ��trang��res vivaient de rares aum?nes, d'un peu de travail et de continuelles rapines. Leurs ressources avouables consistaient dans la r��colte des champignons et des fa?nes et dans la fabrication des paillassons. En outre elles avaient ouvert un d��bit de liqueurs dans leur taudis et la vieille disait la bonne aventure �� sa client��le de pieds-poudreux et de claque-dents.
La fille ��tait une grande pi��ce, d��gingand��e, maigrichonne, les cheveux ��bouriff��s luisant comme du charbon, l'ovale allong�� du masque trou�� de deux yeux noirs comme l'orage, toute sa personne serpentine travaill��e par un brasier int��rieur. En somme, une femelle peu engageante pour les terriens honn��tes, friands de blondines potel��es et d'humeur placide. Aussi elle ne recruta de galants que parmi les manouvriers de passage, les porte-balles, les forains, les valets infimes ou parmi les braconniers qui l'associaient comme rec��leuse ou comme chienne de garde �� leurs entreprises. Encore fallait-il qu'elle les provoquat ouvertement, car, aussi d��cri��s qu'ils fussent, ces gueux avaient trop de vergogne pour tirer vanit�� de leur aubaine.
Au demeurant, la gaillarde avait bon caract��re. Comme ceux de sa gent, elle n'en voulait qu'�� l'autorit��, au garde-champ��tre, au gendarme, au juge, aux riches et �� leurs salari��s, en g��n��ral �� ces heureux qui d��tiennent la terre et l'argent ou qui traquent, pourchassent et vexent de mille fa?ons les ventres creux et les goussets vides. Mais ceux-l��, elle les ha?ssait pour toute la chr��tient�� et il n'est pas de m��chant tour qu'elle n'e?t voulu leur jouer. Les villageois l'avaient appel��e Hiep-Hioup! �� cause de ses interjections favorites qu'elle accompagnait d'un entrechat et d'un claquement des doigts, et bient?t elle ne fut plus connue que sous ce sobriquet.
Cette paroissienne devait avoir fatalement maille �� partir avec Jakk�� Overmaat. La sorte de respect et de sympathie que le garde inspirait jusque-l�� aux plus incorrigibles vauriens irritait particuli��rement la matine. Elle n'admettait pas qu'on isolat cette casquette galonn��e de la l��gion des tourmenteurs du pauvre monde.
Un jour elle ��tait en train, la cogn��e au poing, de faire subir aux bouleaux du domaine confi�� �� la surveillance du garde, un ��mondage de sa fa?on, lorsque le fils Overmaat arriva de ce c?t��. Au lieu de fuir, elle rassembla, de l'air le plus insouciant, une abondante provision de ram��e. Il la tan?a sans col��re, l'engageant �� venir demander plut?t �� la ferme les b?ches dont elle aurait besoin. La noiraude le regarda dans le blanc des yeux, et lorsqu'il eut fini de bredouiller sa semonce, elle lui rit au nez d'un rire aigre comme un trille de fifre, puis tourna les talons et s'enfuit en sautant et en brandissant la cogn��e: ?Hiep-Hioup!?
Ce rire strident causa au garde un embarras et un malaise qu'il n'avait jamais ��prouv��s. Le reste du jour, il l'entendit grincer �� son oreille. Pour la premi��re fois de sa vie il fut m��content de lui-m��me et se trouva inf��rieur �� son poste.
Sa mauvaise humeur durait encore, lorsque, quelque temps apr��s, �� l'aube, il trouva Hiep-Hioup accroupie dans les taillis, occup��e �� d��nicher des oeufs de faisan. Il b��nit presque cette occasion de se r��concilier avec lui-m��me; sur un ton qui n'admettait pas de r��plique, il lui ordonna de vider le contenu de ses poches et de remettre les oeufs dans le nid. Comme elle n'en faisait rien, il lui prit le bras et le serra assez fortement. Elle cria comme une taupe mordue par un chien, laissa choir les oeufs qu'elle cachait dans son tablier, les ��crabouilla sous son sabot, puis, se d��gageant de sa poigne, elle d��tala �� toutes jambes, non sans lui jeter son: ?Hiep-Hioup!? le plus moqueur.
Jakk�� la vit s'��loigner, ahuri, sans se r��soudre �� la conduire chez le garde-champ��tre. C'est �� peine s'il marmonna une menace de proc��s-verbal. Son beau z��le et son d��sir de revanche ��taient loin et il demeurait tout camus, plus d��mont�� que la premi��re fois, par cette physionomie troublante et ce je ne sais quoi d'effront�� et d'agressif qu'il n'avait jamais connu �� une femme. Et ces yeux de braise, et cette voix gr��le et rauque lui caus��rent des insomnies.
Encourag��e par les deux premiers avantages remport��s dans sa campagne contre le garde des comtes de Thyme, la mauvaise engeance chercha maintenant �� se trouver sur son chemin. Elle ne se mettait plus en frais de ruses pour lui cacher ses d��lits. Elle r?dait de pr��f��rence aux alentours du Boschhof et op��rait pour ainsi dire
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